Archives de catégorie : T25 – cdc eed

Albine était partie en disant ah mais non — 1958 (11)

Raymond Queneau – (sonnets écartés des sonnets de 1958)

Albine était partie en disant ah mais non
il n’était nullement convenu que j’allasse
tous les soirs au jardin cueillir le potiron
pour en déduire ensuite un potage lavasse

Nous regrettions tous trois cette âpre décision
car la servante avait en cuisine une audace
qui lui faisait marier le poivre et le citron
l’ammone et le benjoin le bouillant et la glace

Nous avions en effet peut-être exagéré
en demandant en plus de son parfait service
quelque imagination dans la lubricité

S’enthousiasmant toujours pour faire le pompier
ou bien quelque branlette ou bien même un coucher
la servante enculée abhorrait son supplice

Q8 – T25

Un petit livre ouvert dont je cherche l’abord — 1949 (4)

Pierre-Jean JouveDiadème

Rêve du livre

Un petit livre ouvert dont je cherche l’abord
Est-il à le manger un abîme discord
Un livre avec du feu dans les plis et les lettres
Humides de sang rouge et comme veine ouverte

Où réconciliés sont amour et son manque
Et Dieu! et les baisers du pli et l’épuisante
Ascèse qui mélancolique bat la grève
De mourir et les cheveux langoureux et les lèvres

Le livre (est-ce le pli dévoré) s’ouvrira
Sur le massacre des amants par le poème
Et j’aurai toujours lu sa lettre avec fracas

Le livre de la chair et de Dieu abolis
En leur amour orgasme et seul esprit béni
L’unité d’un seul don dans les cuisses de femme.

Q57 – T25  (le vers 8 a 13 syllabes)

Soit une multiplicité vectorielle, — 1937 (4)

André Weil

Sonnet de Chançay

Soit une multiplicité vectorielle,
Un corps opère seul, abstrait, commutatif.
Le dual reste loin, solitaire et plaintif,
Cherchant l’isomorphie et la trouvant rebelle.

Soudain bilinéaire a jailli l’étincelle
D’où naît l’opérateur deux fois distributif.
Dans les rets du produit tous les vecteurs captifs
Vont célébrer sans fin la structure plus belle.

Mais la base a troublé cet hymne aérien :
Les vecteurs éperdus ont des coordonnées.
Cartan ne sait que faire et n’y comprend plus rien.

Et c’est la fin. Opérateurs, vecteurs, foutus.
Une matrice immonde expire. Le corps nu
Fuit en lui-même au sein des lois qu’il s’est données.

Q15 – T25 – Admirable effort du pape de Bourbaki

Carabin, prends ta carabine ! — 1912 (12)

André Salmon

L’amour médecin

Carabin, prends ta carabine !
– Car je présume que te navre
Ce manque absolu de cadavre –
Et dissèque ta concubine.

Feu ! et surtout point ne la rate.
La petite maîtresse est morte ;
Voici le cœur, voici la rate
De qui venait t’ouvrir la porte.

Voici ses seins joyeux, pivoines
Lourdes, ses poumons qu’un ultime
Soupir gonfle, et le péritoine.

Grimoire où l’œil de l’aruspice
Lit avec l’ordre du supplice
Rédempteur le pardon du crime.

Q62  T25  octo

Rosoyante et galbeuse, au contour génial, — 1903 (9)

Alphonse Gallais Venus fleurie (d’après Jean-Paul Goujon : Anthologie de la poésie érotique française  2004)

La cuisse

Rosoyante et galbeuse, au contour génial,
La cuisse de la femme est l’étau du miracle,
Dont chaque serrement, au sein du tabernacle,
Pousse à son paoxysme un frisson idéal !

Elle est d’une souplesse étrange, et quand l’oracle
A la péroraison se meurt – au point final –
Sa brûlure au rein souple étend, phénoménal,
Le spasme aigu qui brise entier l’iconolâtre…

A la douceur joignant la force merveilleuse,
Ses pressements soudains, au seuil du frisson cher,
Font vibrer tous les nerfs en la danse joyeuse …

Et c’est, sous des cris vifs que les baisers étouffent,
L’ Hymen sacré qui fait se croiser chaque touffe :
Triomphal exclamé vers les cieux par la chair.

Q16  T25

Un obscur mouvement d’amour et de musique — 1902 (2)

Saint-Georges de Bouhélier Les chants de la vie ardente

Les rythmes

Un obscur mouvement d’amour et de musique
Sort des globes lointains et balance mes vers,
Or bercé par les lois de l’immense univers
Mon poème se scande et vit dans la physique.

Ces mondes dont le rythme à ma voix communique
Ces tourbillons divins et ces accents divers
Prolongeant dans mes chants leur force et leur éclair
Créent en eux un esprit religieux et panique.

Ainsi les stances d’or de mes sonnets égaux
Reproduisent l’élan des sphères dans leur groupe,
Et celui qui les lit ne lit pas que des mots.

Mais, subissant les lois des planètes du ciel,
Dont ces sonnets ont emprunté l’essentiel,
Il voit bondir l’éther au-dessus de leur troupe.

Q15 – T25  – s sur s

Les Astres haut levés sur d’antiques Mémoires — 1896 (17)

André Ibels. In Cités Futures

Vers d’airain pour Saint-pol-roux

Les Astres haut levés sur d’antiques Mémoires
Irradiant les Temps d’un éblouissement,
Ont mis un peu d’azur épars en ton grimoire,
Et voici que ta voix tremble splendidement.

Las de Procession majestueuse et lente,
Tu sculptas de tes mains des reposoirs magiques,
Et les mots blancs tissés sur les cordes qui chantent
Coulèrent de tes doigts en arpèges rythmiques.

Page royal du Verbe aux armes d’Ironie,
Troubadour et jongleur de fastueuses proses,
Brode un bouclier d’or contre la tyrannie.

Ton Glaive qui dardait sa pointe vers la Lune,
Dédié, désormais, aux races d’infortune,
A lui – dans la Ténèbre – rehaussé de roses !

Q59 – T25

« étrange recueil dont chaque texte, aux accents volontiers prophétiques, désigne au lecteur un soldat-poète de l’armée anarchiste »

O mer, o mer immense qui déroules — 1896 (6)

Auguste AngellierA l’amie perdue


Le sacrifice, XX

O mer, o mer immense qui déroules
Sous les regards mouillés de ces millions d’étoiles,
Les longs gémissements de tes millions de houles,
Lorsque dans ton élan vers le ciel tu t’écroules;

O ciel, ô ciel immense et triste, qui dévoiles,
Sur les gémissements de ces milliers de houles,
Les regards pleins de pleurs de tes milliers d’étoiles
Quand l’air ne cache point la mer sous de longs voiles;

Vous qui, par des milliers et des milliers d’années,
A travers les éthers toujours remplis d’alarmes,
L’un vers l’autre tendez vos âmes condamnées

A l’éternel amour qu’aucun temps ne consomme,
Il me semble, ce soir, que mon étroit coeur d’homme
Contient tous vos sanglots, contient toutes vos larmes!

abaa babb – T25 – toutes les rimes sont féminines

S’il t’arrive parfois de prononcer mon nom, — 1895 (15)

Alban Roubaud Pour l’idole

XXXVIII

S’il t’arrive parfois de prononcer mon nom,
A l’heure où le couchant invite à la prière,
Si le pardon pénètre en ton âme si fière,
Et si ton cœur dit « oui » quand ta bouche dit « non »

Souviens-toi que ma peine est égale à ta peine
Et que je souffre autant que ce qu’on peut souffrir.
Sache qu’il est une douleur qui fait mourir,
Et que cette pensée abolisse ta haine.

Le mal que je t’ai fait, je l’ai fait malgré moi,
Il fallait une larme aux voluptés anciennes,
Et Dieu n’a pas compris notre ineffable émoi.

Mais vois, les jours bénis ne s’oublieront jamais !
Et songe que je t’aime encor, toi que j’aimais,
Si tu pleures parfois, et que tu te souviennes …

Q63  T25

C’était dans son costume aux vulgaires couleurs — 1874 (18)

Jules Vicaire in L’Artiste

Rencontre

C’était dans son costume aux vulgaires couleurs
Un matelot. Mes mains blanches et bien soignées
Eurent peine à serrer les siennes goudronnées.
– Un ami d’autrefois, pensant aux temps meilleurs.

Mais lui, tout en marchant, comme on cueille des fleurs
Cueillant des souvenirs dans nos jeunes années,
Me rappela la lande et les amours fanées ,
Et les amours perdues et les jeux querelleurs.

Il avait dû quitter sa mère seule et vieille.
Etant pauvre, et n’ayant pu se placer là-bas,
Il s’était au service engagé de la veille.

Sa voix en me parlant était pleine de larmes ;
Je chassai mon orgueil et ses sottes alarmes
Et je lui dis : « Ami, si tu prenais mon bras ? »

Q15  T25 cette disposition de rimes des tercets, rare (fréquente dans le sonnet italien) interdit le respect de l’alternance des rimes