Archives de catégorie : banv

Maître, malgrè les cris, poursuis ta longue route. — 1843 (14)

Francis Girault in  Balzac : Lettres à l’étrangère

Maître, malgré les cris, poursuis ta longue route.
Va, grandissait toujours, sans crainte ni souci.
De tes conceptions le cercle, Dieu merci,
Est loin d’être épuisé : tu sais ce qu’il en coûte

Ah ! tout puissant esprit qui force qu’on l’écoute !
L’envieux journaliste, au cerveau rétréci,
Ne te pardonne pas de l’avoir peint : aussi
Déverse-t-il sur toi sa haine goutte à goutte.

Qu’il siffle ou qu’il aboie, et que t’importe-t-il ?
Dessine sans broncher le multiple profil
De ce siècle inouï ; maître ; c’est là ton œuvre.

Qui peut fermer la bouche aux petits détracteurs ?
Reste donc au sommet. La rampante couleuvre
Ne s’élève jamais à de telles hauteurs.

Q15  T14

Je suis la marguerite, et j’étais la plus belle — 1843 (6)

(Balzac)

Lucien fut piqué de la parfaite immobilité de Lousteau pendant qu’il écoutait ce sonnet; il ne connaissait pas encore la déconcertante impassibilité que donne l’habitude de la critique, et qui distingue les journalistes fatigués de prose, de drames et de vers. Le poète, habitué à recevoir des applaudissements, dévora son désappointement; il lut le sonnet préféré par madame de Bargeton et quelques-uns de ses amis du cénacle.
– Celui ci lui arrachera peut-être un mot, pensa-t-il.


DEUXIEME SONNET

La Marguerite

Je suis la marguerite, et j’étais la plus belle
Des fleurs dont s’étoilait le gazon velouté.
Heureuse, on me cherchait pour ma seule beauté,
Et mes jours se flattaient d’une aurore éternelle.

Hélas! malgré mes voeux, une vertu nouvelle
A versé sur mon front sa fatale clarté;
Le sort m’a condamnée au don de vérité,
Et je souffre et je meurs: la science est mortelle.

Je n’ai plus de silence et n’ai plus de repos;
L’amour vient m’arracher l’avenir en deux mots,
Il déchire mon coeur pour y lire qu’on l’aime.

Je suis la seule fleur qu’on jette sans regret:
On dépouille mon front de son blanc diadème,
Et l’on me foule aux pieds dès qu’on a mon secret.

Q15 – T14- banv

Paquerette des près, vos couleurs assorties — 1843 (5)

-in  Balzac :  Illusions perdues

(Rubempré présentant à Lousteau son recueil de sonnets Les Marguerites ) – Le sonnet, monsieur, est une des oeuvres les plus difficiles de la poésie. Ce petit poème a été généralement abandonné. personne en France n’a pu rivaliser avec Pétrarque, dont la langue, infiniment plus souple que la nôtre, admet des jeux de pensée repoussés par notre positivisme (pardonnez-moi ce mot). Il m’a donc paru original de débuter par un recueil de sonnets. Victor Hugo a pris l’ode, Canalis donne dans la poësie fugitive, Béranger monopolise la Chanson, Casimir Delavigne accapare la Tragédie et Lamartine, la Méditation.

– Etes-vous classique ou romantique? lui demanda Lousteau.

… des sonnets, c’est de la littérature d’avant Boileau, dit Etienne en voyant Lucien effrayé d’avoir à choisir entre deux bannières. Soyez romantique. Les romantiques se composent de jeunes gens, et les classiques sont des perruques; les romantiques l’emporteront.


LA PAQUERETTE! dit Lucien en choisissant le premier des deux sonnets qui justifiaient le titre et servaient d’inauguration

Paquerette des près, vos couleurs assorties
Ne brillent pas toujours pour égayer les yeux;
Elles disent encor le plus cher de nos voeux
En un poème où l’homme apprend ses sympathies:

Vos étamines d’or par de l’argent serties
Révèlent les trésors dont il fera ses dieux;
Et vos filets, où coule un sang mystérieux,
Ce que coûte un succès en douleurs ressenties!

Est-ce pour être éclos le jour où du tombeau
Jésus, ressuscité sur un monde plus beau,
Fit pleuvoir des vertus en secouant ses ailes,

Que l’automne revoit vos courts pétales blancs
Parlant à nos regards de plaisirs infidèles,
Ou pour nous rappeler la fleur de nos vingt ans?

Q15 – T14- banv

Invisible Trilby, je t’ai vu ce matin . — 1842 (13)

Ernest Fouinet dans une lettre à Charles Nodier

Invisible Trilby, je t’ai vu ce matin .
Oui, j’ai vu ton esprit et ta grâce éternelle
Et ta bonté riante, et j’ai mis sous ton aile,
Quelques feuillets lancés pour un vol incertain.

Oui, je t’ai vu, Trilby, mon bienveillant lutin,
Flambeau de poésie ou limpide étincelle !
Mais ce n’était point moi, dis-tu – c’était donc celle
Qui rend heureux et doux ton glorieux destin ?

Ah ! c’était toujours toi ; c’était toujours ton âme,
L’écho de tes accords, le reflet de ta flamme
Ton chant qui se prolonge et son plus beau rayon

Et ta seconde vue et toute ta féérie,
Et, bienfaisant lutin, ton inspiration.
C’était Charles Trilby sous les traits de Marie.

Q15  T14 – banv –   Trilby ou le lutin d’Argail, conte de Nodier (1822)

Vous me demandez dans un beau distique — 1842 (7)

Théodore de Banville Les Cariatides

A M. de Sainte-Marie

Vous me demandez dans un beau distique
Comment je comprends le divin sonnet.
Hélas! aujourd’hui, qui de nous connaît,
Ce lis entr’ouvert, cette fleur mystique?

C’est plus qu’un doux chant, c’est une musique,
C’est un rayon rose, un parfum qui naît,
Un autel à qui Petrarque donnait
L’ambre italien et le marbre attique;

C’est le reflet d’or dans la goutte d’eau,
Le trait que jadis l’enfant Cupido
Tirait du carquois jeté sur ses ailes;

C’est le fard léger des belles de cour,
Le chant de Mozart aux saveurs si belles,
Que, redit trois fois, il semble trop court.

Q15 – T14 – banv –  tara – s sur s
On remarque, avec une certaine surprise que les vers 12 et 14 riment mal (pour la conception classique)
Théodore de Banville semble bien être le premier à réutiliser le ‘taratantara’, cette version antique du décasyllabe, coupé 5/5.
(a.ch) préfère cet autre sonnet en taratantarasdu même auteur:

SOUS BOIS

A travers le bois fauve et radieux,
Récitant des vers sans qu’on les en prie,
Vont, couverts de pourpre et d’orfévrerie,
Les comédiens, rois et demi-dieux.

Hérode brandit son glaive odieux,
Dans les oripeaux de la broderie,
Cléopâtre brille en jupe fleurie
Comme resplendit un paon couvert d’yeux.

Puis, tout flamboyants sous les chrysolithes,
Les bruns Adonis et les Hippolytes
Montrent leurs arcs d’or et leurs peaux de loups.

Pierrot s’est chargé de la dame-jeanne.
Puis après eux tous, d’un air triste et doux,
Viennent en rêvant le Poëte et l’Ane[1].

Ce n’est pas au Songe d’une nuit d’été vécu par des personnages de la comédie italienne, ni à Watteau, qu’il convient de se référer, comme le fait Edouard Maynial dans son Anthologie des poètes du XIXe siècle (Hachette, 1935, p. 295), mais au Roman comique de Scarron.
C’est une scène du XVIIe siècle qui est décrite dans une forme de l’époque, le sonnet. L’a-t-elle été selon un vers contemporain : celui de Régnier-Desmarais, tel que Banville pouvait en trouver des exemples dans le Richelet ou chez Quicherat ? L’origine de ce vers serait la solution à un problème de technique (renouvellement par réhabilitation d’une forme ancienne marginale et oubliée), et ne résulterait pas seulement de l’influence de la romance de Musset…


[1]Théodore de Banville : Les Cariatides; Alphonse Lemerre, 1877, pp. 277-278.

Oui, je connais trois sœurs qui vont toujours ensemble, — 1840 (11)

Léon Magnier Fleurs des champs

Sonnet

Oui, je connais trois sœurs qui vont toujours ensemble,
Modestes, aux doux yeux, brûlantes de beauté ;
Qui savent consoler l’homme par leur bonté ;
Si vous les regardez, l’une aux autres ressemble.

Elles apaiseront le criminel qui tremble ;
Oh ! ce sont les présents de la divinité,
L’espérance des cieux, la foi, la charité ;
Que le plus noble but, le bien, toujours rassemble.

Elles sont des vertus les fidèles soutiens,
Respectez-les, amis, adorez-les, chrétiens !
Vous qui les possédez, conservez-les dans l’âme.

Leurs regards sont levés vers la voûte d’azur,
Elles offrent à Dieu une divine flamme :
Donnez-leur ici-bas votre amour le plus pur.

Q15  T14  banv

On sonnait un baptème au clocher du hameau, — 1840 (4)

Ferdinand DuguéLes gouttes de rosée


LXII

On sonnait un baptème au clocher du hameau,
La famille accourait à la fête chérie
Et le joyeux cortège à travers la prairie
Cheminait en chantant, car le ciel était beau:

Soudain les bras chargés du précieux fardeau
Le laissent échapper, on s’empresse, on s’écrie,
Mais couché sain et sauf parmi l’herbe fleurie
L’enfant sourit et dort comme dans un berceau.

Alors, en son effroi, la vierge belle et sage
Dont les pudiques mains portaient selon l’usage
Un vase plein de fleurs, d’eau de rose et de nard,

Laissa tous ces parfums ruisseler sur la tête
De l’heureux nouveau-né: c’est ainsi que Ronsard
Avant d’être chrétien fut baptisé poète.

Q15 – T14 – banv

A nos aieux, le pur honneur, — 1838 (13)

Théophile Lodin de Lalaire Les victimes

Le siècle

A nos aieux, le pur honneur,
La fleur de la galanterie
L’amour du roi, de la patrie
Et de Dieu ; partant, le bonheur.

Chez eux, point de plat suborneur
Qui livrât la foule ahurie
Au vil Moloch de l’industrie ;
Point de sophiste empoisonneur.

Mais c’est à l’or que je me pique
D’offrir mon encens romantique,
Et je jette le reste aux vents.

Pour l’or, comme un nègre je sue,
J’écris, je trahis, je me vends,
Je sers, je nuis, je meurs, je tue.

Q15  T14  – banv – octo

Allons, ange déçu, ferme ton aile rose: — 1838 (6)

Théophile Gautier La comédie de la mort


Adieu à la poésie

Allons, ange déçu, ferme ton aile rose:
Ote ta robe blanche et tes beaux rayons d’or;
Il faut, du haut des cieux où tendait ton essor,
Filer comme une étoile, et tomber dans la prose.

Il faut que sur le sol ton pied d’oiseau se pose.
Marche au lieu de voler: il n’est pas temps encor;
Renferme dans ton coeur l’harmonieux trésor;
Que ta harpe un moment se détende et repose.

O pauvre enfant du ciel, tu chanterais en vain,
Ils ne comprendraient pas ton langage divin;
A tes plus doux accents ton oreille est fermée!

Mais avant de partir, mon bel ange à l’oeil bleu,
Va trouver de ma part ma pâle bien-aimée,
Et pose sur son front un long baiser d’adieu!

Q15 – T14 – banv