Archives de catégorie : rons

Q15 – T15

Honneur à toi, poëte, à toi, cher Sainte-Beuve! — 1838 (1)

Jules LacroixPervenches

1-3 L’auteur dédie son ‘sonnet sur le sonnet’ à Sainte-Beuve: le sonnet y est dit ‘vase d’or’, ‘cloche’, ‘cage d’or et de cristal’ (toujours le cristal). Pour saluer trois poètes amis, quoi de plus naturel que le vers de 3 syllabes. Les tercets de 3 sont à deux rimes: cdd  ccd
Dans sa préface, il ne résiste pas au désir de montrer qu’il a connu le sonnet bien avant sa vogue naissante (il en met une bonne centaine dans son livre):  » 16 mai 1838 –  Parmi dix ou douze mille vers que je ne publierai sans doute jamais, en voici quelque-uns que j’ai tiré de la poussière; il y a une dizaine d’années qu’ils sont écrits. J’étais poëte alors, ou du moins je voulais l’être
Je me rappelle avec épouvante qu’il n’est pas un seul de ces pauvres sonnets qui ne m’ait dévoré huit bonnes heures: en vérité ce calcul est effrayant!
Je commence à comprendre que huit heures valent beaucoup mieux qu’un sonnet, qui, tout merveilleux qu’il puisse être, ne vaut pas un long poëme, à moins que ce poëme ne soit très ennuyeux.
…. il est assez probable que ces quelques sonnets, autrefois mes joyaux poétiques les plus précieux, n’eussent jamais vu la lumière, car je les avais entièrement oubliés, lorsqu’un jour, dans une de ces fâcheuses dispositions morales où l’on ne peut ni lire ni travailler, où l’on voit tout sous des couleurs sombres, je découvris par hasard, en fouillant dans mes cartons, une vingtaine de feuilles noires et chargées d’écriture, margine scripta, et in tergo...
Je relus donc plusieurs de ces pages raturées et presque indéchiffrables, et j’avoue que ce ne fut pas sans quelque émotion de plaisir; je m’écriai avec une joie d’enfant: « Mes sonnets! voilà mes sonnets! » absolument comme Jean-Jacques Rousseau qui, voyant briller une jolie fleur bleue dans un buisson, se rappela tout à coup le frais enclos des Charmettes après trente années d’amertume et de larmes, et s’écria sans une mélancolie délicieuse: « Oh! voilà des pervenches! ».

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A mon ami Sainte-Beuve

Honneur à toi, poëte, à toi, cher Sainte-Beuve!
Ton bras vient d’arracher au cendres de l’oubli
Le vieux Ronsard, géant de marbre enseveli;
Et sa gloire au soleil reparait toute neuve!

Dans sa muse profonde à grands flots je m’abreuve.
Le sonnet, vase d’or, sculpté, riche, accompli,
Le beau sonnet vermeil, que l’artiste a rempli,
Maintenant brille et coule, abondant comme un fleuve.

J’aime l’ode, coursier aux longs crins vagabonds,
Qui va terrible et fière, et s’élance par bonds!
Mais le sonnet pompeux m’éblouit et m’enchante:

C’est une cloche où roule un écho de métal;
Une cage vibrante, et d’or et de cristal,
Où voltige un oiseau mélodieux qui chante!

Q15 – T15  – s sur s

Le soleil de mes jours a pâli de bonne heure ; — 1837 (6)

Krystyn Ostrowski La semaine d’exil


A Hélène

Le soleil de mes jours a pâli de bonne heure ;
A peine ayant goûté du bonheur enfantin
L’orage m’a surpris, et bientôt, ô destin !
J’irai me reposer dans la froide demeure.

La vie, ô mon enfant! n’est pas ce que je pleure :
Mais je n’ai pas cueilli les roses du matin,
Et le soir vient si tôt, mon gîte est si lointain,
Sans ami» sans espoir, il faut donc que je meure!

A toi, jeune fontaine, un rivage odorant,
Les bosquets du Gepustck, les demeures des anges ;
Laisse les noirs écueils aux ondes du torrent;
Et quand il va mourir eu entraînant ses fanges,
Permets, jeune ruisseau, que dit moins en mourant,
Sans ternir ton cristal, il dise tes louanges.

Q15  T15  disp 8+6

Au nom de Jésus Christ et de la Vierge Sainte, — 1836 (13)

Blaze de Bury Le souper chez le commandeur (in Revue des deux mondes)

Don Julien:

Au nom de Jésus Christ et de la Vierge Sainte,
Et de tous les élus, don Juan, le résempteur
De notre nièce Anna, fille du Commandeur,
Peut avoir sa statue dans cette auguste enceinte.

Elle sera de marbre et d’une seule teinte,
Elle aura douze pieds de toute sa hauteur,
Le costume de moine est surtout de rigueur,
D’un bandeau de cheveux sa tête sera ceinte.

Que le style soit grave et digne de ce lieu,
Que Juan ait dans ses mains la croix du fils de Dieu
Ou la tête de mort de Sainte Madeleine.

Voilà. Nous conseillons de plus à l’ouvrier
De se mettre en état de grâce, et de prier
Chaque fois qu’il aura besoin de prendre haleine.

Q15  T15

Avouez que c’était un magnifique enjeu : — 1836 (12)

Blaze de Bury Le souper chez le commandeur (in Revue des deux mondes)

PREMIÈRE STATUE
Avouez que c’était un magnifique enjeu :
Anna contre don Juan, la partie était belle,
Et long-temps a penché pour l’archange rebelle.
Elle est gagnée enfin et tout retourne à Dieu

DEUXIÈME STATUE
L’Enfer pleure et gémit, le ciel est calme et bleu,
La terre se réveille, et la troupe fidèle
Chante son hosannah ! Satan, à tire d’aile,
Regagne tout confus ses royaumes de feu.

TROISIÈME STATUE
Comme il va se venger sur sa triste famille !
Comme il va séparer la mère de la fille,
Le frère de la sœur, la femme de l’époux !

QUATRIÈME STATUE
Que d’âmes vont se fondre à pleurs intarissables !
CINQUIÈME STATUE
Oui, le joueur qui perd rend les siens responsables.
SIXIÈME STATUE
Compagnes de Satan, trois fois malheur à vous !

Q15  T15

Don Juan ! don Juan ! fais trève à ta rébellion. — 1836 (11)

Blaze de Bury Le souper chez le commandeur (in Revue des deux mondes)

Chœur des statues

Don Juan ! don Juan ! fais trève à ta rébellion.
Prête-nous aujourd’hui, prêtes-nous assistance,
Imite ce pécheur qui dans sa pénitence
Rugissait nuit et jour comme fait le lion.

Par grâce, charge-toi de l’expiation,
Rends Anna, notre fille, à l’heureuse existence,
Et les anges du ciel viendront avec constance
Recueillir tous les pleurs de la rédemption.

Et lorsque le matin répandra ses rosées
De larmes que tes yeux la nuit auront versées,
Ils iront inonder les esprits malheureux ;

Et comme le soleil prend les eaux des fontaines
Pour arroser la fleur qui sèche dans la plaine,
Les archanges prendront tous les pleurs de tes yeux.

Q15  T15

Une femme est un être à l’allure indécise — 1836 (7)

Paul Delasalle Pierre Gringoire

Sonnet

Une femme est un être à l’allure indécise
Qui passe et meurt souvent sans s’être dévoilé,
Comète aux longs cheveux dans un ciel étoilé,
Que la terre maudit, et qui la fertilise.

C’est, sur le trépied d’or où nous l’avons assise,
La vierge prophétesse au grand front désolé,
Dont on meurtrit la bouche avant qu’elle ait parlé,
Arrachant par lambeaux sa pensée incomprise.

C’est un divin martyr de croyance et d’amour,
Dont la venue enchante et qu’on adore un jour,
En jetant sous ses pieds les fleurs et l’herbe verte ;

Mais bientôt il se trouve un faux frère, un Judas,
Qui pour trente deniers trafique de sa perte
Et la cloue à sa croix en lui tendant les bras.

Q15  T15

Quel est ce vêtement plaintif ? Est-ce une voix ? … — 1835 (9)

Jules Lacroix in Revue poétique du dix-neuvième siècle

Le vieillard

Quel est ce vêtement plaintif ? Est-ce une voix ? …
Que fais-tu donc, vieillard, dans cette noire alcôve ?
Que dévores-tu là, comme une bête fauve ?
Sur qui laisses-tu donc la marque de tes doigts ?

C’est la vierge criant pour la dernière fois,
Qui pleure, se débat sous ton front sec et chauve,
Que son ange gardien la protège et la sauve,
Qu’il rende encor ton souffle et tes baisers plus froids ?

Tu ne songes donc pas que ton nez de squelette
Fane en la respirant la jeune violette !
O mort ! n’étouffe point la vierge en ton linceul !

Mais tu veux, libertin, qui n’a pas de famille,
Pour échauffer ton lit un corps de jeune fille!
Pense au drap de la bière où tu coucheras seul !

Q15  T15

Moi mort, ne me pleurez que tant qu’au sein des airs — 1834 (8)

Leon de Wailly in Revue des Deux Mondes, t4

Moi mort, ne me pleurez que tant qu’au sein des airs
La cloche, à la voix sombre, annoncera qu’une âme
Au céleste foyer a rapporté sa flamme
Qu’un cadavre de plus habite avec les vers.
Par pitié pour tous deux ! si vous lisez ces vers,
Oubliez-en l’auteur : on le raille, on le blâme ;
Et combien j’aime mieux l’oubli que je réclame,
Que si penser à moi rendait vos jours amers !O
ui, si vous les lisez, ayez bien soin de taire
Un nom qui doit dormir avec moi dans la terre ;
Que je sois par la mort de votre amour exclus ;
Car j’aurais trop de peur qu’épiant chaque larme
Ce monde si sensé de moi se fît une arme
Pour vous blesser au cœur quand je n’y serai plus.

Q15 T15 trad sh 70 – sns

Le malheur m’a jeté son souffle desséchant. — 1834 (2)

Louise Colet Pensecosa (ed. 1840)

Sonnet

Le malheur m’a jeté son souffle desséchant.
De mes doux sentiments la source s’est tarie,
Et mon âme incomprise, avant l’heure flétrie,
En perdant tout espoir perd tout penser touchant.

Mes yeux n’ont plus de pleurs, ma voix n’a plus de chant,
Mon cœur désenchanté n’a plus de rêverie ;
Pour tout ce que j’aimais avec idolâtrie
Il ne me reste plus d’amour ni de penchant.

Une aride douleur ronge et brûle mon âme,
Il n’est rien que j’envie et rien que je réclame ;
Mon avenir est mort, le vide est dans mon cœur.

J’offre un cœur sans pensée à l’œil qui me contemple ;
Tel sans divinité reste quelque vieux temple,
Telle après le banquet la coupe est sans liqueur.

Q15  T15

(d’après Christine Planté (ed.) : Femmes poètes du dix-neuvième siècle (1998))