Archives de catégorie : rons

Q15 – T15

Prends cet Alde. Il est souple et poli sous ta main. — 1911 (2)

Henri de RégnierLe miroir des heures

Sur un exemplaire des Dialogues d’amour de Léon l’Hébreu

Prends cet Alde. Il est souple et poli sous ta main.
Le papier est de choix, et la lettre est accorte,
Et la première page, au bas du titre, porte
La haute ancre marine où s’enroule un dauphin.

Pour le couvrir, on n’a voulu ni parchemin
Trop orné, ni velours trop éclatant, de sorte
Que son double plat noir, pour tout lustre, comporte
A chacun de ses coins, un seul fleuron d’or fin.

En sa parure sobre et sombre autant que belle,
Il évoque un décor de gondole, comme elle,
Or sur noir, à la fois galant et ténébreux,

Car c’est ainsi jadis qu’un seigneur de Venise
Fit relier pour lui, sans chiffre ni devise
Ce livre qui plaisait à son cœur amoureux.

Q15 – T15

Madame, à mon avis, les plus noirs mécréants. — 1910 (13)

Maurice Hennequin et Georges Basset Une aventure impériale

Madame, à mon avis, les plus noirs mécréants.
Ne se rencontrent point aux pays d’aventure ;
Et pour trouver traîtrise, embuscade et capture,
Point n’est besoin, je crois, de sortir de céans !

A vos pieds, en vaincus, ont gémi des géants.
Voyez combien de cœurs, cy, gisent sur la dure ;
Et je pleure en songeant que, le mal que j’endure
Pour le fuir, il faudrait passer les Océans !

Car vos grands yeux, toujours, sont pleins de maléfices.
Leur charme est un tissu de profonds artifices.
Et c’est un autre sphinx que leurs rellets câlins.

A l’âge, où des dangers on se fait une fête.
Lâche, je n’ose point, de peur d’une défaite
Affronter les éclairs de vos grands yeux divins !

Q15 – T15

Vous qui, dans votre Phare aux murs trapus et clos — 1908 (11)

Robert de Montesquiou Les paons

BELLE-ISLE-EN-ART

Vous qui, dans votre Phare aux murs trapus et clos
Que l’ouragan ébranle ainsi qu’une guérite,
Aimez parfois jouer un rôle d’Amphitrite
Drapé, par l’Océan, d’azur et de sanglots ;

Vous regardez, le soir, s’allumer les falots
Dont la barque, au lointain, contre la Mort s’abrite ;
Une réplique d’ombre, et par Dieu même écrite,
S’élève alors vers vous, de la plainte des flots.

Je devine, Sarah, votre amour pour la houle
Qui vous ramène, en eux, l’applaudissante foule,
Dont tant de fois votre art triomphant fut vainqueur.

Vous goûtez les rappels de la Mer qui s’effare,
Vous que le Monde voit briller dans votre Phare
Qu’illumine un génie où l’on sent battre un coeur!

Q15  T15 à Sarah Bernhardt

Dans le bois trépidant d’étésienne force, — 1905 (10)

Willy Anches et embouchures

La flûte de Pan

Dans le bois trépidant d’étésienne force,
Le chêne millénaire étend ses verts arceaux,
Et sous l’ombrage illustre où paissent les pourceaux,
Pan s’arrête et s’appuie à la rugueuse écorce.

Cornu, la barbe d’or, drue et longue, le torse
Epais et ceint des fleurs écloses sur les eaux,
La bouche humide, il fait chanter les sept roseaux
En battant la mesure avec sa jambe torse.

De nymphes, brusquement, le site s’éblouit:
L’une est si blanche et si blonde qu’elle éblouit;
Une autre est brune, et c’est entre elles une lutte

Emouvante à ce point que, de les voir, le dieu
Se trouble et ne sait plus si ses lèvres en feu
S’éperdent en baisers ou soufflent dans la flûte.

Q15 -T15 (TLF) étésien : Vents étésiens. Vents qui soufflent du Nord pendant l’été sur la Méditerranée

 » De Léon Dierx à Jean Moréas, de Heredia à Fernand Mazade, tous nos poètes, madame Rosemonde Gérard et la Comtesse de Noailles y comprises, ont célébré la flûte de Pan. En revanche, elle est tenue en suspicion dans le monde des bookmakers, à cause de l’irrégularité de ses tuyaux. « 

Madame de Méryan repose en paix. Sa tombe — 1902 (14)

– Hughes Delorme in Léon de Bercy : Montmartre et ses chansons

La mort en dentelles

III

Madame de Méryan repose en paix. Sa tombe
Se dresse au fond du parc, proche le boulingrin.
Quatre saules, courbant leur vieux torse chagrin,
S’inclinent, courtisans pleureurs, quand le soir tombe.

La tour du colombier domine, où la colombe
Et le ramier s’en vont se gaver de bon grain.
Du village lointain, la chanson d’un crincrin
Soupire, et rit, et crie, et nasille, et succombe.

Vêtu d’ombre, pensif, monsieur l’abbé Griseul
Auprès du monument vient s’agenouiller seul.
«  La marquise, ayant fait son sourire à saint Pierre,

Est au ciel ! … » se dit-il. Mais soudain il pâlit :
Lui rappellant les deux colombes du grand lit,
L’oiseau du Saint-Esprit est sculpté dans la pierre !

Q15  T15

Madame de Méryan est morte. Ce n’est plus — 1902 (13)

– Hughes Delorme in Léon de Bercy : Montmartre et ses chansons

La mort en dentelles

II

Madame de Méryan est morte. Ce n’est plus
Qu’un cadavre fluet que le froid violace.
L’abbé Griseul (il fut beau comme Lovelace)
Marmonne au pied du lit des rythmes superflus.

Ils se sont adorés à quinze ans révolus ;
Ensemble on les surprit, lui timide, elle lasse,
Ce qui divertit fort parmi la populace
Filles de cabarets et bourgeois goguelus.

Ce souvenir, qu’il veut rejeter en arrière,
Trouble perversement l’abbé dans sa prière.
Sur le pastel il voit les lèvres de jadis ;

Il baisse le regard sous l’éclair des prunelles,
Et craignant pour tous deux les flammes éternelles,
Mêle un confiteor à son De Profundis.

Q15  T15  goguelu (TLF) Pop., vieilli. Synon. de vaniteux, présomptueux

Sous les terrasses du Royal défilent les goums — 1902 (6)

Henri Jean-Marie LevetCartes Postales

Algérie – Biskra
A Henry de Bruchard

Sous les terrasses du Royal défilent les goums
Qui doivent prendre part à la fantasia:
Sur son fier cheval qu’agace le bruit des zornas,
On admire la prestance du Caïd de Touggourth …

Au petit café maure où chantonne le goumbre
Monsieur Cahen d’Anvers demande un cahouha:
R.S. Hitchens cause à la belle Messaouda,
Dont les lèvres ont la saveur du rhât-loukoum …

Le soleil, des palmiers, coule d’un flot nombreux
Sur les épaules des phtisiques radieux;
La baronne Traurig achète un collier d’ambre;

La comtesse de Pienne, née de Mac-Mahon
Se promène sur le boulevard Mac-Mahon …
– « Hein! Quel beau temps! se croirait-on à fin décembre?  »

Q15 – T15 – m.irr  – Mètre désinvolte

Jeune, le sein parfait et les muscles nerveux, — 1902 (4)

Albert MératVers oubliés

A Miss Léona Dare, acrobate

Jeune, le sein parfait et les muscles nerveux,
Dans des jeux inouïs d’effrayante bascule,
Elle est comme Guzman qui jamais ne recule,
Et, demeurant coquette arrange ses cheveux!

Vers elle, dans les airs, pour élever ses vœux,
Il faudrait être au moins demi-dieu comme Hercule.
Tout autre amour serait chétif et ridicule.
On en rirait encor chez nos petits-neveux.

Tant de grâce adorable à tant de force unie
A changé simplement les lois de l’harmonie.
La grâce les plaçait dans l’immobilité.

Miss Léona, ce rêve aux postures étranges,
Rappelant un autre art et la chute des Anges ,
Même la tête en bas, atteste la Beauté.

Q15 – T15

On la descend dans le grand trou, la chérie, — 1901 (2)

Charles-Adolphe Cantacuzène Sonnets en petit deuil

On la descend

On la descend dans le grand trou, la chérie,
La bonne fillette aux clairs yeux lilas!
Tranquille, elle vivait dans ses falbalas –
Petite fille sachant la pauvre vie!

La terre la reprend: terre, je t’envie!
Je perds une amoureuse aux bras délicats,
Une enfant qui toujours me serrait le bras, –
Tu gagnes une chair polie et fleurie!

Je ne la verrai donc plus les soirs de mai
Et d’octobre venir tout comme un bienfait
Surtout comme un sourire en marche vers l’âme.

Je te vois disparaître, ô toi qui fus toi! –
Toi qui fus toi, moi! – toi, mon unique foi! –
O sœur, ô mère, ô fille! ô toi seule femme!

Q15 – T15 – 11s

Rien ne te peut toucher, rien ne t’émeut, — 1900 (16)

Nathalie Clifford-BarneyQuelques portraits-sonnets de femmes

XIII

Rien ne te peut toucher, rien ne t’émeut,
Ton cœur est éclos dans un grand bloc de glace
Tout se brise au mur de sa calme surface,
Ta chair semble de marbre et d’airain tes yeux.

Ta passivité brave même les dieux,
Et ta vierge beauté fait rêver l’audace
Qui s’éteint de trop voir ta froideur en face
Pétrifiant tout, l’amour comme les feux.

Tu sembles un gouffre où ton rire sans joie
Veut ce qui plane et l’appelle pour proie
Afin de combler ton goût pour le néant.

Tes seins sont deux fleurs grandes épanouies,
Berçant le poison de leur laiteuse envie
Comme des cygnes sur un étang stagnant.

Q15  T15  11s