Archives de catégorie : Formule entière

Le soleil tendre couve à travers le brouillard — 1893 (23)

Paul Delair La vie chimérique

Aux langes

Le soleil tendre couve à travers le brouillard
La terre que la neige enveloppe de langes
Et la terre vagit avec des pleurs étranges …
L’hiver est un enfant et non pas un vieillard.

Il a souffle petit, grand besoin, plainte amère,
Mais il joue au soleil comme au sein de sa mère,
Têtant le bonne flamme aussitôt qu’elle a lui.

Ses sens dorment encor, mais les sillons augustes
Sentent prémir le germe et s’agiter en lui
‘âme de l’avenir, & l’espoir, pain des justes.

Oh ! passe t main d’or sous le pâle brouillard,
Soleil !, mère & nourrice, & berce dans ses langes,
Le dieu futur des blés et des saintes vendanges …
L’hiver est un enfant et non pas un vieillard.

QTTQ v14=v4

Mystérieux hanteurs aimés des tubéreuses — 1993 (20)

Georges Fourest in L’Ermitage

Pour cueillir les narcisses
Mystérieux hanteurs aimés des tubéreuses (Joseph Declareuil)

O nymphes, j’ai flétri la fleur de Bételgeuse :
Nymphes, les nymphéas abhorrés de l’Amour !
Candide, j’ai cueilli vos corolles neigeuses,
Frigides nénuphars abhorrés de l’Amour !

Tel un glaïeul glissant au sanglot de l’eau glauque,
J’effeuille cette fleur qui fut l’enfant Narcisse ; –
Et le fleur descendait au sanglot de l’eau glauque
Et les blancs Corydons chantaient leurs Alexis !

Magdeleines, gardez pour les Jésus futurs,
Gardez le cinnamone et les philtres d’Amour.
Leurs cheveux essuieront tes pieds, ô Dieu futur !

Pour moi, dans le miroir sanglotant de l’eau glauque, –
Parmi les nymphéas abhorrés de l’Amour ;
J’effeuillerai la fleur qui fut l’enfant Naricsse !

Q59  cdc xdy y=x (d=b & x=a’ & y=b’)  mots-rimes et vers repris

Mère qui m’engendras du tarse au métacarpe, — 1893 (18)

Georges Fourest in L’Ermitage

Pseudo-sonnet pessimiste et objurgatoire
à ceux qui prirent soin d’élever ma jeunesse

Mère qui m’engendras du tarse au métacarpe,
Malgré Schopenhauer et la loi de Malthus ; –
O mon appartement lorsque j’étais fœtus,
Ma MÈRE ; – et toi PARRAIN prénommé Polycarpe ; –

MAÎTRE qui m’enseignas (ô merci !!!) que la carpe
Est un cyprinoïde et, qu’en latin, « hortus »,
Traduit le mot « jardin » ; – Flamande sans astuce,
NOURRICE au lait crémeux, simple enfant de la Scarpe ; –

PRÊTRE qui m’aspergeas de l’eau du baptistère,
Et par qui je connus (sublime et doux mystère)
A l’âge de douze ans ma saveur du sauveur :

Hélas ! ne pouviez-vous, me prenant par l’échine,
Quand je bavais, môme gluant déjà rêveur, …
Me jeter aux cochons comme l’on fait en Chine ?!?!

Q15  T14  -banv

Qu’il soit encourtiné de brocart ou de serge, — 1893 (15)

José Maria de HerediaLes Trophées

Le lit

Qu’il soit encourtiné de brocart ou de serge,
Triste comme une tombe ou joyeux comme un  nid,
C’est là que l’homme naît, se repose et s’unit,
Enfant, époux, vieillard, aïeule, femme ou vierge.

Funèbre ou nuptial, que l’eau sainte l’asperge
Sous le noir crucifix ou le rameau bénit,
C’est là que tout commence et là que tout finit,
De la première aurore au feu du dernier cierge.

Humble, rustique et clos, ou fier du pavillon
Triomphalement peint d’or ou de vermillon
Qu’il soit de chêne brut, de cyprès ou d’érable;

Heureux qui peut dormir sans peur et sans remords
Dans le lit paternel, massif et vénérable,
Où tous les siens sont nés aussi bien qu’ils sont morts.

Q15 – T14 – banv

L’Etna mûrit toujours la pourpre et l’or du vin — 1893 (14)

José Maria de HerediaLes Trophées

Médaille antique

L’Etna mûrit toujours la pourpre et l’or du vin
Dont l’Erigone antique enivra Théocrite;
Mais celles dont la grâce en ses vers fut écrite,
Le poète aujourd’hui les chercherait en vain.

Perdant la pureté de son profil divin,
Tour à tour Aréthuse esclave et favorite
A mêlé dans sa veine où le sang grec s’irrite
La fureur sarrazine à l’orgueil angevin.

Le temps passe. Tout meurt. Le marbre même s’use.
Agrigente n’est plus qu’une ombre, et Syracuse
Dort sous le bleu linceul de son ciel indulgent;

Et seul le dur métal que l’amour fit docile
Garde encore en sa fleur, aux médailles d’argent,
L’immortelle beauté des vierges de Sicile.

Q15 – T14 – banv

Vous sortiez de l’église et, d’un geste pieux, — 1893 (12)

José Maria de HerediaLes Trophées

Suivant Pétrarque

Vous sortiez de l’église et, d’un geste pieux,
Vos nobles mains faisaient l’aumône au populaire,
Et sous le porche obscur votre beauté si claire
Aux pauvres éblouis montrait tout l’or des cieux.

Et je vous saluai d’un salut gracieux,
Très humble, comme il sied à qui ne veut déplaire,
Quand, tirant votre mante et d’un air de colère
Vous détournant de moi, vous couvrites vos yeux.

Mais Amour qui commande au coeur le plus rebelle
Ne voulut pas souffrir que, moins tendre que belle,
La source de pitié me refusât merci;

Et vous fûtes si lente à ramener le voile,
Que vos cils ombrageux palpitèrent ainsi
Qu’un noir feuillage où filtre un long rayon d’étoile.

Q15 – T14 – banv

L’aube d’un jour sinistre a blanchi les hauteurs. — 1893 (11)

José Maria de HerediaLes Trophées

La Trebbia

L’aube d’un jour sinistre a blanchi les hauteurs.
Le camp s’éveille. En bas roule et gronde le fleuve
Où l’escadron léger des Numides s’abreuve.
Partout sonne l’appel clair des buccinateurs.

Car malgré Scipion, les augures menteurs,
La Trebbia débordée, et qu’il vente et qu’il pleuve,
Sempronius Consul, fier de sa gloire neuve,
A fait lever la hache et marcher les licteurs.

Rougissant le ciel noir de flamboiement lugubres,
A l’horizon, brûlaient les villages Insubres;
On entendait au loin barrir un éléphant.

Et là-bas, sous le pont, adossé contre une arche,
Hannibal écoutait, pensif et triomphant,
Le piétinement sourd des légions en marche.

Q15 – T14 – banv

Le temple est en ruine au haut du promontoire. — 1893 (10)

José Maria de HerediaLes Trophées

L’oubli

Le temple est en ruine au haut du promontoire.
Et la mort a mêlé, dans ce fauve terrain,
Les Déesses de marbre et les héros d’airain
Dont l’herbe solitaire ensevelit la gloire.

Seul, parfois, un bouvier menant ses buffles boire,
De sa conque où soupire un antique refrain
Emplissant le ciel calme et l’horizon marin,
Sur l’azur infini dresse sa forme noire.

La Terre maternelle et douce aux anciens Dieux
Fait à chaque printemps, vainement éloquente,
Au chapiteau brisé verdir une autre acanthe;

Mais l’Homme indifférent au rêve des aïeux
Ecoute sans frémir, du fond des nuits sereines,
La Mer qui se lamente en pleurant les Sirènes.

Q15 – T30

Du Moêt, de la bisque, une caille et terrine — 1893 (8)

Romain Coolus in Revue Blanche

X
A la suite d’incidents de la plus haute gravité, le fol amant rompt avec sa maîtresse, mais il a appris sur elle des choses terribles et il ne craint pas de les lui jeter au visage. Après tout, ce n’est peut-être pas un homme très bien élevé. Cependant il a le sentiment des nuances. Car après avoir badiné et raillé en versiculets, il accuse et juvénalise en alexandrins des plus duodécipèdes. Il récapitule amèrement.

Du Moêt, de la bisque, une caille et terrine
De foie, en cabinet, après minuit, l’hiver,
Pendant que ton mari trafique à Vancouver,
Tel fut le rêve de ton âme adultérine.

Et très assidument tu devins pèlerine
De la maison Aurée où le second couvert
Tantôt par l’un tantôt par l’autre fut couvert;
Des ongles très sélects grattèrent ta poitrine.

D’une impudicité qu’envieraient les putains
Lorsqu’aux volets se subtilisaient les matins,
Sur les divans pulmonaires, en robe nue,

Creusée aux blancheurs sales du jour levant
Tout en offrant ton sexe en posture ingénue,
Tu rotais le champagne et le Moulin-à-vent.

Q15 – T14 – banv

Le soleil s’est couché, mais non pas dans tes calmes yeux, — 1893 (5)

Romain Coolus in Revue Blanche

Incantations, IV

Le soleil s’est couché, mais non pas dans tes calmes yeux,
Tes yeux aux longues perspectives de toute lumière
Dont le regard s’évade et fuit ainsi qu’une rivière
De clarté progressant vers des lointains prestigieux.

Et leur cher en-aller est pour moi si contagieux
Qu’ils dérivent mon coeur des habitudes coutumières
Et l’incitent au désir soudain des douceurs premières
Parmi le pays où vivre est un mot religieux.

J’attends ainsi les heures en élégies savoureuses
Où je déchifferait ton âme en vouloir d’être heureuse,
Quête vaine où s’épuisent nos tendresses douloureuses

Tandis qu’ensorcelant mes pensées au soleil fictif
Qui survit au soleil mort en tes yeux votifs
Je me cheminerai moi-même de rêves furtifs.

Q15 – T5 – 14s