Archives de catégorie : Mètre

Sarrazin, Benserade et Voiture, — 1845 (7)

Hip. Floran Les amours

A trois poètes

Sarrazin, Benserade et Voiture,
Tous les trois prenez place au sonnet
Qu’à défaut de landau, de voiture,
J’ai pour vous sans façon mis au net.

En sentant dans mon cœur l’ouverture
D’un accès de gaité qui renait,
J’ai voulu suivre à pied l’aventure
Qui vers vous follement m’entrainait.

Vous avez tant d’esprit, tant de grâce,
Et parfois votre muse est si grasse
Que quiconque en serait amoureux ;

Pour ma part, aussi chaud qu’une braise,
J’aime à voir ses appas amoureux,
Et partout comme un Dieu je la baise *

Q8  T14 – 9s « ceci est une manière de dire à des poètes qu’on leur baise la main – et nous avons peut-être bien fait de nous mettre à pied dans cette circonstance, car il est à craindre que le vieux Pégase n’eût pas voulu marcher avec des vers de neuf pieds, coupés par des hémistiches de trois, ce qui, selon nous pourtant, est un rythme plein de grâce et d’entrain ».

Comme un torrent qui bat sa berge, — 1843 (22)

Ernest Prarond in Vers

Sonnet à Charles Baudelaire

Comme un torrent qui bat sa berge,
Le vent contre le ciel tonnait,
Et, sous le signe de la Vierge,
Tournoi de foudre se donnait.

L’éclair jouait de la flamberge,
La charge dans les airs sonnait,
Et sur une table d’auberge
Je vous écrivis ce sonnet.

Fier comme un bâtard des vieux reitres,
Un braconnier séchait ses guêtres,
Et fumait d’un air fanfaron !

Et tout, la fille comme l’hôte
Me rappelait presque sans faute
Le vieux style du vieux Scarron.

Q8  T15  octo

Je veux pour ma chérie — 1843 (21)

Théophile Gersant Première gerbe

Sonnet

Je veux pour ma chérie
Un diadème d’or,
De velours, de soîrie,
Pour cacher mon trésor.

Sur sa tête jolie,
Je veux un voile encor,
Qui serpente, et se plie
Autour de son beau corps …

Non, je ne veux de voile,
Qui cache mon étoile,
En lui cachant les yeux ;

Je ne veux de ces choses,
Qu’un sourire et des roses
Qui la pareront mieux.

Q8  T15  6syll.  La rime ‘encor/corps’ est incorrecte

C’est à l’heure où l’on voit la tempête et l’orage — 1843 (11)

Th. Wains-des-Fontaines Otia

sonnet IV – à M.A. de R...

I
C’est à l’heure où l’on voit la tempête et l’orage
Bouleverser les mers, – que l’Alcyon plaintif,
S’élançant tout-à-coup du sommet d’un récif,
Aux pales nautonniers annonce le naufrage.
II
Ce n’est pas cependant qu’il aime les éclairs;
Qu’il aime voir la foudre et les vents, dans leur rage,
De leurs affreux combats épouvanter les airs,
Et de tristes débris joncher au loin la plage;
III
Oh non! quand l’Alcyon apparaît sur les flots,
Messager tutélaire, – il vient aux matelots
Annoncer les périls qui menacent leurs têtes;
IV.
L’orage politique au Ciel gronde aujourd’hui,
Vos jours sont en danger, et j’accours comme lui,
Annoncer l’heure des Tempêtes.

Q53 – T15 – 2m (octo: v.14)  – disposition originale

Si les plus beaux cheveux du monde — 1843 (4)

Gustave Levavasseur – in Vers

XXXI
Sonnet

Si les plus beaux cheveux du monde
Miroitaient sur sa tête blonde,
Son nez, galamment retroussé,
Taquinait une bouche ronde.

Main passant, le coeur détroussé,
Baissait les yeux, tout courroucé,
Sous son regard de Frédégonde,
Piteusement éclaboussé.

Que lui manquait-il donc? … Etait-ce
Ce teint si vanté dans Lutèce,
Où la rose le cède aux lis?

Non; mais vous eussiez cherché l’âme
En vain sous ses contours polis; –
La gaine n’avait pas de lâme.

aaba  bbab –T14  octo Un octave, et non deux quatrains autonomes

Du sonnet, moi j’ai la manie, — 1843 (3)

Gustave Levavasseur – in Vers

Sonnet

Du sonnet, moi j’ai la manie,
J’aime calembourgs et rébus,
J’aime la royauté bannie,
J’invoque Pégase et Phoebus.

Je dis au soir ma litanie,
Et mon feutre insulte Gibus;
Je compterais pour avanie
De m’encaisser en omnibus.

Que l’on me fronde ou qu’on me loue,
Devant notre siècle de boue,
Je me couvre d’un air hautain;

Et si j’étais moine ou bien prêtre,
Je sais ce que je voudrais être:
Abeilard ou l’abbé Cotin.

Q8 – T15 – octo – s sur s

Vous me demandez dans un beau distique — 1842 (7)

Théodore de Banville Les Cariatides

A M. de Sainte-Marie

Vous me demandez dans un beau distique
Comment je comprends le divin sonnet.
Hélas! aujourd’hui, qui de nous connaît,
Ce lis entr’ouvert, cette fleur mystique?

C’est plus qu’un doux chant, c’est une musique,
C’est un rayon rose, un parfum qui naît,
Un autel à qui Petrarque donnait
L’ambre italien et le marbre attique;

C’est le reflet d’or dans la goutte d’eau,
Le trait que jadis l’enfant Cupido
Tirait du carquois jeté sur ses ailes;

C’est le fard léger des belles de cour,
Le chant de Mozart aux saveurs si belles,
Que, redit trois fois, il semble trop court.

Q15 – T14 – banv –  tara – s sur s
On remarque, avec une certaine surprise que les vers 12 et 14 riment mal (pour la conception classique)
Théodore de Banville semble bien être le premier à réutiliser le ‘taratantara’, cette version antique du décasyllabe, coupé 5/5.
(a.ch) préfère cet autre sonnet en taratantarasdu même auteur:

SOUS BOIS

A travers le bois fauve et radieux,
Récitant des vers sans qu’on les en prie,
Vont, couverts de pourpre et d’orfévrerie,
Les comédiens, rois et demi-dieux.

Hérode brandit son glaive odieux,
Dans les oripeaux de la broderie,
Cléopâtre brille en jupe fleurie
Comme resplendit un paon couvert d’yeux.

Puis, tout flamboyants sous les chrysolithes,
Les bruns Adonis et les Hippolytes
Montrent leurs arcs d’or et leurs peaux de loups.

Pierrot s’est chargé de la dame-jeanne.
Puis après eux tous, d’un air triste et doux,
Viennent en rêvant le Poëte et l’Ane[1].

Ce n’est pas au Songe d’une nuit d’été vécu par des personnages de la comédie italienne, ni à Watteau, qu’il convient de se référer, comme le fait Edouard Maynial dans son Anthologie des poètes du XIXe siècle (Hachette, 1935, p. 295), mais au Roman comique de Scarron.
C’est une scène du XVIIe siècle qui est décrite dans une forme de l’époque, le sonnet. L’a-t-elle été selon un vers contemporain : celui de Régnier-Desmarais, tel que Banville pouvait en trouver des exemples dans le Richelet ou chez Quicherat ? L’origine de ce vers serait la solution à un problème de technique (renouvellement par réhabilitation d’une forme ancienne marginale et oubliée), et ne résulterait pas seulement de l’influence de la romance de Musset…


[1]Théodore de Banville : Les Cariatides; Alphonse Lemerre, 1877, pp. 277-278.

Pourquoi parler de demain, — 1842 (6)

Michel Carré Folles rimes et poésies

Sonnet

Pourquoi parler de demain,
Et de ce jour qui s’efface?
Dieu nous couvre de sa main:
Que sa volonté se fasse.

Voyez ce joyeux essaim
D’insectes bleus dans l’espace
Et ce rossignol qui passe
Sous les arbres du chemin:

C’est une nuit parfumée,
Nuit d’amour, ma bien-aimée.
Endormez-vous dans mes bras,

Votre lèvre sur la mienne;
Si la mort attend en bas,
Nous sommes prêts, – qu’elle vienne.

Q8 – T14 – 7s

Vous, qui prêtez l’oreille aux chants que la douleur — 1842 (5)

Comte Anatole de MontesquiouSonnets, canzones, ballades et sextines de Pétrarque

1

Vous, qui prêtez l’oreille aux chants que la douleur
Et la vaine espérance ont dicté à mon coeur,
Lorsque dans l’erreur du jeune âge,
J’étais encor loin d’être sage,

Si vous avez connu l’amour,
Ses tendres soins, son doux langage,
Vous daignerez me plaindre un jour.
Mais j’ai de ma douleur profonde,

De mes accens, de mes écrits,
Trop long-temps occupé le monde.
De mes torts la honte est le prix.

Eclairé par elle, j’appris
Que tout ce qui plaît sur la terre
N’est qu’une illusion légère.

 » Je n’ai pas voulu traduire tous les sonnets en sonnets, et j’ai même eu recours, pour eux, aux rythmes les plus variés, afin d’éviter les périls de la monotonie « .

aabbcbcdedeeff – 2m:octo, v.1, v.2: alexandrins – tr (Pétrarque, rvf 1)