Archives de catégorie : Mètre

Ne regardons jamais de femme dans la rue; — 1842 (1)

Alfred Philibert Les étincelles

Sonnet

Ne regardons jamais de femme dans la rue;
La femme nous fait mal et fuit en nous frappant;
Son regard nous fascine et son souffle nous tue:
C’est l’oeil et le dard du serpent.

Ces rencontres souvent nous laissent l’âme émue;
On en sourit d’abord; plus tard on s’en repent.
Le démon a toujours quelque ruse inconnue;
Il ne nous perd qu’en nous trompant.

On rentre tout mouillé sans songer à la pluie;
On ouvre sur la table un livre commencé;
Mais au second feuillet le livre nous ennuie.

On chante; on se promène; on se couche lassé;
On se tourne en rêvant vers une image enfuie.
Le beau soir que l’on a passé!

Q8 – T20 – 2m (octo: v.4, v.8, v.11, v.14)

Les vers courts marquent les quatrains et le dernier vers.

Quand j’étais faible enfançon, l’objet des soins de ma mère, — 1841 (2)

Paul AckermannChants d’amour. suivis de poésies diverses –

Souvenir

Quand j’étais faible enfançon, l’objet des soins de ma mère,
Et que, joyeux, j’ignorais l’ennui, les sombres fureurs
Et les désirs insensés, qui sourdent au fond des coeurs,
Je riais des passions et de l’amoureux mystère:

Mais bientôt, pour agiter mon existence légère,
La jeune fille aux yeux noirs, sur une route de fleurs,
Sut ma jeune âme enflammer par l’espoir de ses faveurs,
Puis le ciel me la reprit, me laissant seul sur la terre.

Doux amour de mon enfance, ombrage de mon chemin,
De vos flots voluptueux vous inondâtes mon sein,
Et je les vis s’écouler comme une vague rapide.

Ainsi, quand sur l’horizon brille une flamme rapide
L’orage éclate et bondit, trouble la source au front pur,
Et de noirs habits de deuil se vêt la plaine d’azur

Q15 – T13 – 14s

Paul Ackermann, qui se dit ‘professeur de langue française à Berlin », réinvente le sonnet en vers de quatorze syllabes. (Il y en a un chez Pierre Poupo, dans sa Muse Chrétienne de 1590) (après lui Verlaine, et d’autres, jusqu’à Réda)

(a.ch) ce type de vers est signalé par Richelet.

Ce qui m’incite à t’aimer, ô mon Dieu, — 1840 (16)

Sainte-Beuve Œuvres poétiques

Sonnet de Sainte Thérèse
A Jésus crucifié

Ce qui m’incite à t’aimer, ô mon Dieu,
Ce n’est pas l’heureux ciel que mon espoir devance,
Ce qui m’incite à t’épargner l’offense,
Ce n’est pas l’enfer sombre et l’horreur de son feu !

C’est toi, mon Dieu, toi par ton libre vœu
Cloué sur cette croix où t’atteint l’insolence ;
C’est ton saint corps sous l’épine et la lance,
Où tous les aiguillons de la mort sont en jeu.

Voilà ce qui m’éprend, et d’amour si suprême,
O mon Dieu, que, sans ciel même, je l’aimerais ;
Que, même sans enfer, encor je te craindrais !

Tu n’es rien à donner, mon Dieu, pour que je t’aime ;
Car, si profond que soit mon espoir, en l’ôtant,
Mon amour irait seul, et t’aimerait autant !

Q15 – T30  – 2m (v.1-3-5-7 : déca) –  tr.

Ce livre est toute ma jeunesse; — 1840 (6)

Alfred de Musset Poésies complêtes


Au lecteur

Ce livre est toute ma jeunesse;
Je l’ai fait sans presque y songer.
Il y paraît, je le confesse,
Et j’aurais pu le corriger.

Mais quand l’homme change sans cesse,
Au passé pourquoi rien changer?
Va-t-en pauvre oiseau passager;
Que Dieu te mène à ton adresse!

Qui que tu sois, qui me liras,
Lis-en le plus que tu pourras,
Et ne me condamne qu’en somme.

Mes premiers vers sont d’un enfant,
Les seconds d’un adolescent,
Les derniers à peine d’un homme.

Q9 – T15 – octo

Au jour de l’infortune, au jour où votre œil pleure, — 1838 (15)

Edouard-L. de Blossac Heures de poésie

Sonnet

Au jour de l’infortune, au jour où votre œil pleure,
Où défaillent vos vœux ;
Allez, et repassez le seuil de la demeure,
Où vous fûtes heureux.

Je ne sais quoi d’amer s’en exhale à toute heure !
Tout est sombre en ces lieux !
L’écho souffre et se plaint ; un vent froid vous effleure,
La foudre gronde aux cieux ! ….

Là, pourtant, du bonheur vous connûtes l’ivresse ;
Là, peut-être, le joug dont l’amour vous oppresse,
Longtemps s’est prolongé ….

C’est le même ciel bleu, sur le lac sans orage,
Ce sont les mêmes fleurs encor, le même ombrage :
L’homme seul est changé !

Q8  T15  – 2m (octo : v2,4,6,8,11,14)

A nos aieux, le pur honneur, — 1838 (13)

Théophile Lodin de Lalaire Les victimes

Le siècle

A nos aieux, le pur honneur,
La fleur de la galanterie
L’amour du roi, de la patrie
Et de Dieu ; partant, le bonheur.

Chez eux, point de plat suborneur
Qui livrât la foule ahurie
Au vil Moloch de l’industrie ;
Point de sophiste empoisonneur.

Mais c’est à l’or que je me pique
D’offrir mon encens romantique,
Et je jette le reste aux vents.

Pour l’or, comme un nègre je sue,
J’écris, je trahis, je me vends,
Je sers, je nuis, je meurs, je tue.

Q15  T14  – banv – octo

J’aime, en jetant aux airs des senteurs de jasmin, — 1838 (4)

Théodore CarlierPsukhê; Etudes

Vous encore!

J’aime, en jetant aux airs des senteurs de jasmin,
De tes beaux cheveux bruns mêler la longue tresse!
J’aime, pour m’enivrer d’un bonheur surhumain,
Attirer tes regards, doux comme une caresse!

J’aime te voir pleurer lorsque, sur ton chemin,
Quelque mère indigente à ta pitié s’adresse!
J’aime te voir sourire, et me presser la main,
Lorsqu’un couple béni se parle avec tendresse!

J’aime ta voix, tes pas légers comme l’oiseau,
Ta taille mollement souple comme un roseau,
Et ton coeur pour moi sans mystère!

Mais j’ai peur, quand ton pied se pose à peine au sol,
Que tu ne sois un ange, – et que, prenant ton vol,
Tu ne me laisses sur la terre!

Q8 – T15 – 2m (octo:v.11, v.14)