Archives de catégorie : Genre des rimes

Nous irons vers la vigne éternelle et féconde — 1907 (2)

Henri de Régnier Premiers poèmes

Epilogue

Nous irons vers la vigne éternelle et féconde
En grappes pour y vendanger le vin d’oubli;
Le soir n’a plus de pourpre et l’aurore a pâli
Et la promesse meurt aux lèvres du Vieux Monde;

Nous irons vers la rive où triomphe un décor
D’étangs muets et de sites en somnolence,
Où vers une mer morte un fleuve de silence
Bifurque son delta parmi les sables d’or;

Toi la vivante, la diseuse de paroles
Tu voulus m’enchaîner au nœud des vignes folles,
J’ai brisé le lien de fleurs du bracelet.

Hors le tien, tout amour, ô Mort, est dérisoire
Pour qui sait le pays mystique et violet
Où se dresse vers l’autre azur la Tour d’Ivoire.

Q63 – T14

Sur le lac où glissait le cygne au blanc plumage — 1906 (5)

Pierre Plessis in La Sylphide

Nuit

Sur le lac où glissait le cygne au blanc plumage
Le jour lent à mourir jetait ses dernier feux,
Et l’eau claire mirait la lumière des cieux
Entre le nénuphar et le trainant herbage.

Le soir était venu répandant ses senteurs,
Tout auréolé d’or, de calme, de splendeur,
Il avait peu à peu partout tendu ses voiles.

Un dernier chant d’oiseau vibrait sous les grands arbres.
Les arbres se teintaient de rougeurs de coraux,
Une brume montait légère sur les eaux,
Effleurant, en passant , la sculpture des marbres !

Dans le feuillage noir rôdait l’oiseau de nuit ;
Et le cygne d’argent et l’insecte qui luit
Se miraient dans le lac sous des clartés d’étoiles

Q1 (abba) + T1 (ccd) + Q2 (a’b’b’a’) + T2 (eed)

Aux jours d’or où les dieux reconnaissaient leurs frères — 1906 (4)

Fagus Jeunes fleurs

Invention du sonnet

Aux jours d’or où les dieux reconnaissaient leurs frères
Essaimaient par la terre et se mêlaient à nous,
A ces jeunes humains robustes, beaux et doux,
Ils léguèrent la lyre aux quatre cordes paires :

Quand Terpandre eut trouvé les trois voix septénaires
Les maîtres de leur cœur se sentirent jaloux.
Nous, filleuls délaissés soudain réveillés loups
Oublièrent la lyre ; or les dieux émigrèrent

Et revinrent ; des fibres d’un grand cœur saignant
Tendirent chacun une lyre et les joignant
–       Pétrarque d’Arrezzole et Dante de Florence –

Pour qu’à nouveau l’on pût chanter par l’univers,
Les fastes, la beauté, les deuils et l’espérance
Les fils des dieux en ourdirent deux foix sept vers.

Q15  T14  – banv –  s sur s

Mon âme est sans secret, ma vie est sans mystère; — 1906 (2)

Jules Renard in  Dr o’Followell: le sonnet d’Arvers et ses pastiches (1948)

A l’envers d’Arvers

Mon âme est sans secret, ma vie est sans mystère;
Mon amour banal fut comme un autre conçu,
Le mal est réparé; pourquoi donc vous le taire?
Celle qui me l’a fait l’a tout de suite su.

Non, je n’ai pas passé près d’elle inaperçu,
Toujours à ses côtés, et toujours solitaire,
Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre,
N’ayant rien demandé, mais ayant tout reçu.

Pour elle, qui n’est point très douce ni très tendre,
Elle suit son chemin et se fiche d’entendre
Un murmure d’amour élevé sur ses pas.

A l’austère devoir constamment infidèle,
Sans avoir lu ces vers où je n’ai rien mis d’elle,
« Mais, c’est moi! » dira-t-elle, et ne comprendra pas.

Q10 – T15 – arv

-Jacqueline de Lubac: « Une aimable dame me fit un jour ce compliment: ‘J’aime bien vos sonnets, mais pourquoi les faîtes-vous si courts? »

Un son maigre et pluvieux sonne en fausset mes heures, — 1906 (1)

O.V. de L. MiloszLes sept solitudes

XVII

Un son maigre et pluvieux sonne en fausset mes heures,
Coassement – croassement – requiem des portes
Aux grands châteaux venteux dont le regard fait peur
Tandis que le grand vent glapit des noms de mortes,

Ou bruit de vieille pluie aigre sur quelque route,
Qui n’invite qu’afin que le destin s’égare
Vers le clocher aveugle à girouette bizarre?
Ecoute – plus rien- Seul, le grand silence écoute …

Tu peux partir, ou t’endormir, ou bien mourir
Dans le sang ou la boue, ou même encore, belle,
Mendier ton pain de vieille aux pays inconnus;

Car nulle autre aujourd’hui ne veut m’être réelle
Que celle mort des demains et du souvenir,
Que cette cloche du moment aux lointains nus.

Q60 – T38

Je sais que le plaisir d’amour est éphémère, 1905 (13)

Marius Boisson Sonnets épars

XII – Aux femmes
L’extraction des ovaires est une opération fort à la mode

Je sais que le plaisir d’amour est éphémère,
Et le spasme divin  ne dure qu’un moment…
Ce fragile bonheur fait d’étourdissement,
Ne devrait pas donner la douleur d’être mère.

Pour un baiser menteur, pour un frémissement
Vous ne devriez pas souffrir toute une vie,
Votre beauté devrait n’être pas asservie,
Vous ne devriez pas crier atrocement.

Mais, femmes, avant tout, vous êtes nos femelles
Réceptacles sacrés, vos ventres, vos mammelles,
Autant que pour l’amour sont faits pour nos enfants.

Et pour gravir les doux et terribles calvaires
De vos maternités … ô ventres triomphants,
O femmes, nos amours, conservez vos ovaires.

Q48  T14

Les spécieuses, les prenantes rêveries — 1905 (12)

John-Antoine Nau in Les écrits pour l’art

Roses jaunes

Les spécieuses, les prenantes rêveries
S’envolent de ton front où le caprice dort
De ton front pâle et chaud comme un lys au cœur d’or
Et s’enroulent dans nos têtes endolories,

Vapeurs de Hells ou de Walhallas trop fleuries,
Nuages de vertige embaumés de l’odor
Di fémina, vitale aube ou suave mort …
………………………………………………………………………
Tel au parc affolés de trompeuses féeries …

Dans le soir, d’un sachet, orchestre de parfums,
Bosquet lyre, s’éveille en pervers accords bruns,
Et s’émane le chant trouble des roses jaunes,

Hymne subtil et dur en ses fausses langueurs, –
Amoureuses, non – implacables aumônes
Qui glissent un affreux émoi des sens aux cœurs.

Q15 – T14 – 15v – Un vers faits de points allonge le poème. Le vers 3 est ‘racinien’ (douze mots sur le modèle de ‘le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur’).

Dans le bois trépidant d’étésienne force, — 1905 (10)

Willy Anches et embouchures

La flûte de Pan

Dans le bois trépidant d’étésienne force,
Le chêne millénaire étend ses verts arceaux,
Et sous l’ombrage illustre où paissent les pourceaux,
Pan s’arrête et s’appuie à la rugueuse écorce.

Cornu, la barbe d’or, drue et longue, le torse
Epais et ceint des fleurs écloses sur les eaux,
La bouche humide, il fait chanter les sept roseaux
En battant la mesure avec sa jambe torse.

De nymphes, brusquement, le site s’éblouit:
L’une est si blanche et si blonde qu’elle éblouit;
Une autre est brune, et c’est entre elles une lutte

Emouvante à ce point que, de les voir, le dieu
Se trouble et ne sait plus si ses lèvres en feu
S’éperdent en baisers ou soufflent dans la flûte.

Q15 -T15 (TLF) étésien : Vents étésiens. Vents qui soufflent du Nord pendant l’été sur la Méditerranée

 » De Léon Dierx à Jean Moréas, de Heredia à Fernand Mazade, tous nos poètes, madame Rosemonde Gérard et la Comtesse de Noailles y comprises, ont célébré la flûte de Pan. En revanche, elle est tenue en suspicion dans le monde des bookmakers, à cause de l’irrégularité de ses tuyaux. « 

Est-il rien de plus doux, rempli de plus de charme, — 1905 (4)

Dathan de Saint-CyrLes animaux

L’oiseau

Est-il rien de plus doux, rempli de plus de charme,
Que l’enfant du ciel bleu, le beau petit oiseau?
Pouvez-vous contempler, sans verser une larme,
Les petits piaillant au fond de leur berceau?

Voyez se balancer, sur le bord du ruisseau,
Construit avec tant d’art, ce nid d’herbe et de mousse,
Qu’agit mollement le vent dans le roseau,
Imprimant à l’arbuste une douce secousse.

Après avoir donné la becquée aux petits
Qu’il laisse plus dispos, endormis en leurs nids,
Il s’envole et s’arrête, en l’air qui le délasse.

Puis reprend vers le ciel son vol audacieux,
Volant agilement au gré du vent qui passe,
Il semble disparaître en l’azur bleu des cieux.

Q35 – T14