Archives de catégorie : Genre des rimes

L’hiver avait cessé, la bise était calmée, — 1890 (23)

Jules Sionville in L’Aurore

L’abeille et le singe

L’hiver avait cessé, la bise était calmée,
Le ciel, limpide et clair, semblait un pur émail ;
Sous la ruche une abeille au velouté camail
Voltigeait butinant plus souple qu’une almée.

De miel et d’ambroisie elle allait affamée
Comme un pauvre de pain dans l’ombre du portail,
Les pétales des fleurs lui servaient d’éventail
Et le pollen des lis lui formait un camée.

Mais sa sérénité fut bien vite embrumée ;
Un singe, qui la vit joyeuse et parfumée,
Courut pour l’écraser du doigt contre un vitrail,

Quand elle, en un clin d’oeil fuyant sous la ramée ,
Mais de son dard vengeur le piquant au poitrail,
Lui dit : « Crains l’innocent dont l’ire est allumée ! … »

Q15  T7  y=x (c=a & d=b)  fable-sonnet.

Mais le linge aux senteurs d’Iris, s’il les dénude, — 1890 (18)

Ernest Raynaud Les cornes du faune

Les cornes du faune

V
« Et je n’ai pas parmi les langueurs de la chambre,
La crainte d’avilir l’orgueil de mon baiser
Si j’arrête ma lèvre à vos fossettes d’ambre! »
Albert Mérat

Mais le linge aux senteurs d’Iris, s’il les dénude,
Révèle, pour en mieux aviver la pâleur,
Aux méplats, un léger soupçon de soie en fleur,
Deux lobes, sans, en eux, rien de lâche ou de rude.

Les soirs dolents d’Eté n’ont pas leur quiétude,
Ni la voile qui s’enfle au large leur ampleur,
Ni ta joue où pourtant la tristesse s’élude

Les fossettes de leur sourire ensorceleur.

De chair, croît-on, pétrie avec de la lumière
Leur charme opère en moi de façon coûtumière,
Leur modelé détient mille grâces et plus!
Aussi de quels transports est-ce (ô dieux!) que j’accueille
Ces jumelles splendeurs où, dans des temps voulus,
La plaisante églantine indolemment s’effeuille!

Q14 – T14

C’est d’un grain de satin! la peau de son visage — 1890 (15)

Ernest Raynaud Les cornes du faune

Pastels

II

C’est d’un grain de satin! la peau de son visage
Bleue à croire qu’un bleu reflet de lune y joue,
Et le nez, qui nuement fait ombre sur la joue,
La Grâce en a modelé le cartilage.

Le cold-cream obligeant fixe le bleu nuage
Du riz sur le satin éclatant de la joue,
Et l’on surprend des reflets bleus de coquillage
A l’oreille où sommeille un éclair de bijou.

La lèvre sensuelle et molle, où saignent comme
Des pourpres de pivoine et de géranium
Esquisse un rire déceleur de perles franches.

Et les yeux, les yeux d’or, quelle prestesse! ils ont
Sous l’échafaudage artistique des frisons,
Que parachève un papillon de soie orange!

Q14 – T15

– C’est un décor! Un coin de mer, un bout de côte, — 1890 (14)

Ernest Raynaud Les cornes du faune

Pastels

I
– C’est un décor! Un coin de mer, un bout de côte,
Elle y profile élégamment son nu de soie,
Sous la jupe, à chaque fois qu’elle tressaute,
Incontinent, le pli de l’aine s’aperçoit.

Les deux bras, dès qu’un geste opulent les déploie,
Une étoile apparaît d’un blond très doux d’épeautre,
Et sa toison dévolue à quels Argonautes.
Tant de bijoux la surchargent, qu’elle flamboie.

Elle a l’éclat, elle a la grâce d’une plume
Et sa robe n’est plus qu’une légère écume,
Au gré du flot qui court et saute, musical

C’est l’ouragan et c’est la trombe ! elle tournoie,
Puis dans les bras du Céladon qui la reçoit
Expire sur un cri triomphal de cymbales!

Q10 – T15 – Le fait que des vers riment sur des couples masc/ fem ne joue pas de rôle particulier dans la structure du sonnet, et marque seulement l’affaiblissement, qui s’accélère, de la notion classique de rime au profit de l’oralité (affaiblissement aussi de la notion de césure !)

Naïve, j’ai gardé l’impression première — 1890 (11)

Léon Valade Poèmes posthumes

Dessous de bois

Naïve, j’ai gardé l’impression première
De la forêt nocturne où soudain je pus voir
Sous l’entrelacement du lourd branchage noir,
Rougeoyer, tout au loin, le feu d’une chaumière.

Plus d’une allée au bois, battue et coutumière,
Pour moi prend un aspect étrange à concevoir,
Quand, au pied des grands troncs reculés par le soir,
La ligne d’horizon met de vive lumière.

Mystérieuse, ainsi qu’un rayon projeté
Sur une porte close, éclate la clarté
Au bas des arbres drus, d’où l’ombre épaisse tombe.

J’y retrouve toujours l’ancien tressaillement;
Et, je ne sais pourquoi, je rêve l’outre-tombe
Comme un dessous de bois éclairé vivement.

Q15 – T14- banv

En cette lumière apâlie — 1890 (10)

Julien Mauveaux Les dolents – sonnets décadents

Sonnet exital

En cette lumière apâlie
où s’adoucit l’attrait de l’heure,
s’endort et dort comme en un leurre
mon rêve de mélancolie.

Ame falote d’Ophélie,
pauvre âme mienne qui la pleure,
il faut subir qu’un ciel enfleure
l’ultime rameau d’ancolie.

rien d’immanent que le réel,
le rêve lui-même est formel,
fait d’intangible encor blessant.

Nous mourons du vague adulé,
et dans la coupe de Thulé,
nous buvons notre triste sang!

Q15 – T15 – octo – enfleure : H.N (Disparus du Littré) a l’adjectif ‘enfleuri’ mais pas le verbe

J’ai le mépris sacré d’un dieu métaphysique — 1890 (9)

Julien Mauveaux Les dolents – sonnets décadents

Sonnet liminaire

J’ai le mépris sacré d’un dieu métaphysique
pour la matière où sont toutes formes encloses,
et pieusement je veux que l’art, loin des gloses
de la science, essore à l’aile des musiques.

Il sera digne alors de la grâce pudique
des vierges, de leur col fragile, de leurs poses
décentes, il aura pour les apothéoses
nitides, le vague de la mer mélodique.

Fiers mépriseurs de la précision qui sculpte
et cristallise sous les ornements d’un culte
immuable, la vie intense et débridée,

mes vers, neige impollue où s’altère et succombe
la frondaison trop délicate des idées,
nimbent la beauté d’un grand vol froid de colombes.

Q15 – T14 – banv –  rimes féminines

Il s’appelle Maurice ainsi que ce soldat — 1890 (8)

Paul VerlaineDédicaces

A Maurice Bouchor

Il s’appelle Maurice ainsi que ce soldat
Et se nomme Bouchor comme saint Bouche d’or,
Soldat de rire franc, saint sinon point encor,
Du moins religieux d’esprit – sinon d’état.

Chaque effort de son oeuvre acclame bien sa date
Et, sous ses deux patrons ce qu’en outre elle arbore
C’est bien la bonne foi sortant par chaque pore
Et l’amour du métier que chaque heure constate.

Jeunesse folle enfin, extravagante au point,
Tel un page sa dame au coeur, sa dague au poing,
Bondissant, comme hennissant, s’il meurt, tant pis!

Age d’homme pensif et profond dont témoigne
On dirait, dirait-on, sonnée à pleine poigne,
La tour changée en nourrice de Saint-Sulpice.

abba a*b*b*a* ccd c*c*d*

Le prêtre en chasuble énorme d’or jusques aux pieds — 1890 (7)

Paul VerlaineDédicaces

Laurent Tailhade

Le prêtre en chasuble énorme d’or jusques aux pieds
Avec un long pan d’aube en guipures sur les degrés;
Le diacre et le sous-diacre aux dalmatiques chamarrées
D’orerie et de perle à quelque Eldorado pillées;

Le Sang Réel par Qui toutes fautes sont expiées,
Dans un calice clair comme des flammes mordorées;
L’autel tout fuselé sous six cierges démesurés,
Et ces troublants Agnus Dei qu’on dirait pépiés;

Et ces enfants de choeur plus beaux que rien qui soit au monde,
Leurs soutanettes écarlates, leurs surplis jolis,
Et les lourds encensoirs bercés de leurs mains appalies;

Cependant que, poète au front royal sur tout haut front,
Laurent Tailhade, tel jadis Bivar, Sanche et Gomez,
Erect, et beau chrétien, et beau cavalier, suit la messe.

aaa*a* a*a*aa c*dd* cee* – 14s – Le vers 1 n’a que treize syllabes dans l’ed.Pléiade

D’autres auront le bruit, la gloire, — 1890 (4)

Edouard GrenierPoèmes épars

Renoncement

D’autres auront le bruit, la gloire,
Et leur nom partout répété;
Le mien s’éteindra sans mémoire,
Comme s’il n’eut jamais été.

Mais qu’on marque ou non dans l’histoire,
Rien ne vaut d’être regretté.
La vie est un rêve illusoire,
Le songe d’une nuit d’été.

Obscur ou glorieux, qu’importe!
La mort d’un seul coup d’aile emporte
Tous nos vains désirs – et c’est bien!

La gloire est d’être aimé. S’il tombe
Une ou deux larmes sur ma tombe,
Il suffit: le reste n’est rien.

Q8 – T15 – octo