Archives de catégorie : Traduction

Since I left you mes yeux sont de mémoire. — 1970 (2)

Marcel Thiry Attouchements des sonnets de Shakespeare


CXIII – ‘Since I left you mine eye is in my mind’

Since I left you mes yeux sont de mémoire.
Vous me voilez la montagne ou la mer.
Laissez mes yeux attoucher cette moire
De nos instant dont j’abolis la mort.

A vous les yeux de ma secrète vue
Qui semblent voir le monde et n’ont que vous
Pour ciel, montange, et la mer, et la vie,
Et n’ont plus vu que vous since I left you.

Laissez que ma mémoire vous compose
Comme au matin l’arbre sort de la nuit;
Pendant qu’avec des vers aux doigts de rose,

Frère des yeux pour défaire la nuit,
Un lent Sonnet que le Temps vous dévoue
Change l’absence en essence de vous.

abab cdcd efef gg=shmall – disposition de rimes des sonnets de Shakespeare   déca – tr

Ainsi suis-je le riche qu’une sainte clé — 1969 (6)

Jean Rousselot ShakespeareSonnets trad.

52

Ainsi suis-je le riche qu’une sainte clé
Peut conduire à son doux trésor bien enfermé,
Lequel il ne va pas regarder à toute heure
De craindre d’émousser l’aigu de son bonheur.

Si les fêtes sont solennelles et prisées,
C’est qu’au long cours de l’an rarement elles viennent;
Comme pierres de prix, elles sont espacées,
Ou bien, dans un collier, les joyaux capitaines.

Ainsi le temps où êtes clos dans ma cassette,
Comme en la garde-robe une robe est cachée,
Fait, d’un instant à part, particulière fête,

En libérant cette splendeur emprisonnée.
Soyez béni, vous si parfait que vous donnez:
Présent, à triompher; absent, à espérer.

Q56 – T23 – disp: 4+4+4+2 – tr

La beauté nous suggère un désir de surcroît. — 1967 (1)

Igor Astrow, trad. – Cent sonnets de Shakespeare


1

La beauté nous suggère un désir de surcroît.
Rose, on ne la vit pas fanée et transitoire.
Et, comme avec le temps mûrie, elle déçoit,
Par un tendre héritier se transmet sa mémoire.

Or, toi plein de toi-même et de ton propre éclat,
De ta substance exquise alimentant ta flamme,
Tu fais famine, alors que l’abondance est là
Et toi-même es le pire ennemi de ton âme.

Tu parais aujourd’hui le plus frais ornement
Du Monde et seul héraut des printanières fêtes.
Mais en te cantonnant en ton contentement,
Tu prépares ainsi ton ultime défaite.

Prends donc pitié du monde et ne le prive pas
De beauté sans pareille, à l’heure du trépas.

shmall – sh1

Douce est la belle comme si musique et bois, — 1965 (6)

Jean Marcenac & André Bonhomme trad. Pablo NerudaLa centaine d’amour

10

Douce est la belle comme si musique et bois,
Agate, voile, blé, et pêchers transparents
Avaient érigé sa fugitive statue.
A la fraîcheur du flot elle oppose la sienne.

La mer baigne des pieds lisses, luisants, moulés
Sur la forme récente imprimée dans le sable;
Maintenant sa féminine flamme de rose
N’est que bulle battue de soleil et de mer.

Ah! que rien ne te touche hormis le ciel du froid!
Que pas même l’amour n’altère le printemps.
Belle, réverbérant l’écume indélébile,

Laisse, laisse ta hanche imposer à cette eau
La neuve dimension du nénuphar, du cygne
Et vogue ta statue sur l’éternel cristal.

bl – tr

Le liège, le titane et le sel aujourd’hui — 1962 (4)

Raymond Queneau – in Jacques Bens – OU LI PO (1960-1963)


Poème isovocalique

Le liège, le titane et le sel aujourd’hui
Vont-ils nous repiquer avec un bout d’aine ivre
Ce mac pur outillé que tente sous le givre
Le cancanant gravier des coqs qui n’ont pas fui

Un singe d’ocre loi me soutient que c’est lui
Satirique puis qui sans versoir se délivre
Pour n’avoir pas planté la lésion où vivre
Quand du puéril pivert a retenti l’ennui

Tout ce porc tatouera cette grande agonie
Par l’escale intimée au poireau qui le nie
Mais non l’odeur du corps où le cuivre est pris

Grand pôle qu’à ce pieu son dur ébat  assigne
Il cintre, o cytise, un bonze droit de mépris
Que met parmi le style obnubilé le Cygne.

Q15 – T14  tr. de Mallarmé

A chacune âme éprise et gentil cœur — 1962 (3)

Pierre-Jean JouveGénie

(Rêve de la Vita nova)

A chacune âme éprise et gentil cœur
En qui viendra la parole présente
Pour que me renvoie la sienne pensante
Salut en son seigneur qui est Amour

Déjà c’était presque la troisième heure
Du temps qui fait tous les astres brillants
Quand m’apparut Amour subitement
Essence qui fait peur à la mémoire

Joyeux me semblait l’Amour il tenait
Mon cœur en main, et dans ses bras avait
Ma dame en un drap voilée endormie

Puis il la réveillait, et de ce cœur brûlant
Il la paissait humblement attendrie:
Mais à la fin je le voyais partir pleurant

Q63 – T14 – 10s – tr

Celui qui sans tirer d’aucune chose qui fût, — 1961 (5)

-. Georges Ribemont-Dessaignes Michel-Ange Sonnets

A Tommaso Cavalieri

Celui qui sans tirer d’aucune chose qui fût,
créa le temps sans existence avant que rien ne fût,
du temps fit deux, à l’un donna le haut soleil,
à l’autre la lune qui nous est la plus prochaine.

Ainsi en un instant vinrent au monde
le hasard, le destin, le bonheur de chacun.
En partage j’eus le temps de l’obscurité,
moi, l’obscur en ma naissance comme en mon berceau.

Et tel celui qui se contrefait soi-même,
Comme la nuit s’épaissit à mesure qu’elle s’avance,
De faire le mal je m’afflige et me lamente.

Et pourtant il m’est permis pour ma consolation
Que ma sombre nuit s’illumine au clair soleil
Qui à votre naissance vous devint compagnon.

vL – tr

Je suis ce riche, ainsi, que son heureuse clef — 1961 (3)

Henri Thomas Shakespearesonnets

52

Je suis ce riche, ainsi, que son heureuse clef
Mène, s’il veut, à son doux trésor bien gardé,
Lequel il n’ira pas visiter à toute heure
Car trop fréquente joie perd son exquise pointe.

Si les festins sont si rares et solennels
C’est que, lents à venir durant la longue année,
Ils y sont clairsemés comme pierres précieuses,
Ou comme sont les grands joyaux dans le collier.

Ainsi le temps est la cassette qui te garde,
Ou l’armoire qui tient caché le vêtement,
Pour enchanter plus tard l’instant privilégié

Où se redéploiera sa splendeur prisonnière.
Sois loué, toi qui tant excelles que c’est gloire,
Ta présence, et ne pas t’avoir est espérance.

bl – disp: 4+4+4+2 – tr

Maître-maîtresse de ma passion, n’as-tu pas — 1961 (2)

Henri Thomas Shakespearesonnets

2
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Maître-maîtresse de ma passion, n’as-tu pas
Visage féminin, par la Nature peint,
Tendre cœur féminin, mais qui point ne connaît
Le fuyant changement cher aux perfides femmes.

Oeil plus clair que les leurs, et son jeu moins trompeur,
Dorant l’objet sur quoi s’arrête son regard.
Homme en son teint, seigneur en soi de tous les teints,
Voleur des regards d’homme et foudre au cœur des femmes.

Et femme tout d’abord tu as été créé,
Mais nature s’est attendrie en te faisant
Et de toi m’a frustré par une addition,

Une chose adjoignant qui n’est rien pour mes fins.
Puisqu’elle t’a choisi pour le plaisir des femmes,
Ton amour soit à moi, leur trésor, d’en user.

bl – disp: 4+4+4+2 – tr

Je suis comme le riche à qui sa clef bénie — 1959 (7)

Jean Fuzier Shakespearesonnets


52

Je suis comme le riche à qui sa clef bénie
De son trésor bien clos ouvre le doux accès:
L’heur de le voir sans cesse à ses yeux il dénie,
Pour n’émousser le dard d’un plaisir ménagé.
Ainsi, solennités sont d’autant mieux fêtées
Qu’au long cours de l’année on les voit rarement;
Comme pierres de prix elles sont clairsemées,
Ou comme en un collier les plus gros diamants.
Et le Temps qui te garde est le coffre, ou l’armoire,
Recelant le manteau, et qui doit rehausser
De quelque occasion glorieuse la gloire
En déployant à neuf sa captive fierté:
Etre béni, ton prix me donne à suffisance
Quand je t’ai, le triomphe, et sans toi, l’espérance.

ababcdcdefefgg=sh – tr  – formule de rimes et disposition shakespearienne