Archives de catégorie : Traduction

O vous qui écoutez, en mes rimes éparses — 1942 (5)

Pétrarque – in   Pierre Poirier: Pétrarque vu par lui-même

1

O vous qui écoutez, en mes rimes éparses
L’écho de ces soupirs dont s’est nourri mon cœur
Aux premières erreurs de l’âge juvénile
Quand j’étais en partie un autre que ne suis;

De mon style varié où je pleure et dispute
Tant d’espoirs qui sont vains et de vaines douleurs,
Je trouverai, j’espère, et pitié et pardon,
Près qui comprend l’amour pour l’avoir éprouvé.

Mais je vois, à présent, comment du peuple entier
Je fus longtemps la fable, et souvent
Je regarde en moi la honte de moi-même

De mes vers, qui sont vains, la vergogne est le fruit;
Comme le repentir j’ai la claire conscience
Que ce qui plaît au monde est un songe bien court.

bl – tr (pétr.1)

Au plus heureux lignage on souhaite un surgeon — 1942 (1)

Giraud d’Eccle Sonnets de Shakespeare

I

Au plus heureux lignage on souhaite un surgeon
qui sauve de la mort le Rosier de beauté.
Si la fleur plus ouverte avec le temps se fane,
qu’une tendre héritière assume sa mémoire.

Réduit au seul éclat de tes yeux, tu nourris
` de ton propre aliment le feu de tes regards.
A toi-même ennemi, trop cruel à tes charmes,
la famine s’installe où régnait l’abondance;

et toi, le plus récent ornement de ce monde
et l’unique héraut d’un fastueux printemps,
dans son bourgeon tu vas ensevelir ta joie,
et doux avare, gaspiller en lésinant

Prends le monde en pitié, ne sois pas ce vorace
Qui ravit avec soi, dans la tombe, son bien.

bl – disp: 4+4+4+2  tr  sh 1: « From fairest Creatures we desire increase »

J’évoquais Théocrite, un jour, et son poème — 1938 (8)

Emile d’Erlanger trad Sonnets from the Portuguese (Elizabeth Barrett Browning)

I

J’évoquais Théocrite, un jour, et son poème
Des années désirées, des chères et des douces,
Semblent, l’une après l’autre, en leurs doigts gracieux,
Porter un don pour les mortels, jeunes ou vieux,

Et je le murmurais, dans son antique langue,
Quand, sur mes pleurs, monta la lente vision,
Des ans, tristes et doux, des ans mélancoliques
Qui formèrent ma propre vie et dont chacun

Mit une ombre sur elle … Aussitôt, je sentis
Qu’une forme mystique était derrière moi,
Qui m’entraînait par ma chevelure, vers elle.

Je résistais. Sa voix de maître interrogea :
« Devine qui te tient maintenant ? » – C’est la Mort ? »
« Non » tinta la réponse argentine : l’Amour !

bl  tr

O vous qui percevez, sous la rime qui sonne, — 1936 (4)

Jacques Langlois Les sonnets amoureux de Pétrarque

1

O vous qui percevez, sous la rime qui sonne,
L’écho de ces soupirs dont j’ai nourri mon cœur
Au temps de ma première et juvénile erreur,
Lorsque j’étais alors tout une autre personne,

Sous le style divers où sanglote et raisonne
Ma bien vaine espérance et ma vaine douleur,
Que votre expérience, en lisant mon ardeur,
M’accorde une pitié qui comprenne et pardonne.

Mais, je vois aujourd’hui combien longtemps je fus
La fable de la foule; et j’en suis tout confus
Vis-À-Vis de moi-même et rempli de vergogne.

Honte est fruit de folie; et j’apprends clairement,
Par repentir tardif de si folle besogne,
Qu’ici-bas ce qui plaît est songe d’un moment.

Q15 – T14 -banv –  tr (rvf 1)

O vous qui recherchez dans ces rimes éparses — 1933 (3)

Fernand Brisset Pétrarque à Laure

1

O vous qui recherchez dans ces rimes éparses
L’écho de ces soupirs dont j’ai nourri mon cœur
Dans le dérèglement de ma prime jeunesse,
Quand j’étais en partie autre que je ne suis.

Sous le style changé dans lequel je déplore
Tant de vaines douleurs et tant de vains espoirs,
J’espère, de vous tous, si vous avez aimé,
Obtenir indulgence et même sympathie.

Mais je vois que je fus longtemps pour tout le monde
Un objet de risée, et, souvent, j’en éprouve
A part moi, pour moi-même, un sentiment de honte,

Car la honte est le fruit de toutes mes folies,
Comme mon repentir, comme ma certitude
Que le plaisir sur terre est un songe bien court.

bl – tr  – La version qu’il avait publiée en 1899 était en prose

Tandis que pour lutter avec ta chevelure, — 1931 (10)

Lucien-Paul Thomas (trad) Oeuvres de Gongora

« Mientras por competir … »

Tandis que pour lutter avec ta chevelure,
L’or bruni du soleil rayonne vainement ;
Tandis que ton front blanc regarde avec dédain
La belle fleur de lys au milieu de la plaine ;

Tant que moins de regards cherchent l’œillet de l’aube
Qu’il en est pour cherche ta lèvre et la cueillir ;
Et que triomphe encore, en son jeune mépris,
Du lumineux cristal, ton col harmonieux ;

Ah ! jouis de ton col, cheveux, lèvres et front,
Avant que ce qui fut, en ton âge doré,
Or, fleur de lys, œillet et lumineux cristal

Non seulement se change en argent, en violette,
Mais que suivant leur sort, tu sois muée en tere,
En poussière, en fumée, en ombre, et en néant.

bl  tr

Violante m’ordonne de faire un sonnet, — 1930 (4)

Lope de Vega  (trad. G.Boussagol)

Violante m’ordonne de faire un sonnet,
De ma vie je ne me suis vu en un tel embarras ;
On dit que quatorze vers c’est un sonnet ;
Tout en plaisantant, en voilà trois ci-dessus

Je pensais que je ne trouverais pas de rime,
Et je suis à la moitié de l’autre quatrain :
Mais si j’arrive au premier tercet,
Il n’y a rien dans les quatrains qui m’épouvante.

Je suis en train d’entrer dans le premier tercet,
Et il semble même que j’y entre d’un bon pied,
Puisqu’avec ce vers j’y mets fin.

Déjà je suis dans le second, et je soupçonne même
Que je suis en train d’achever treize vers ;
Comptez s’ils sont quatorze, et le voilà fait.

r.exc. –   m.irr- tr –  s sur s « Un soneto me manda hazer Violante »

Je suis ce riche ayant sur lui la clef bénie — 1927 (3)

Shakespeare Sonnets trad. Emile Le Brun

LII

Je suis ce riche ayant sur lui la clef bénie
Qui l’amène à son cher trésor bien mis sous clef,
Mais n’allant pas le voir à toute heure, de crainte
D’émousser son plaisir, aigu tant qu’il est rare.

Si nos fêtes sont chose unique et solennelle,
C’est d’apparaître au cours de longs mois, peu fréquentes,
Diamants d’un grand prix, sertis de loin en loin,
Joyaux en chef parmi les perles du collier.

Qu’est donc pour moi le temps qui vous détient? L’armoire
Recelant le manteau de gala qui doit faire
Qu’un non-pareil moment soit fêtes non-pareilles

Lorsqu’il redéploiera sa splendeur prisonnière.
Béni soit de haut prix qu’est le vôtre: on vous a,
Quel triomphe! Et lorsque vous manquez, quel espoir!

bl – disp: 4+4+4+2 – Alexandrins blancs (non rimés) et disposition hybride sur la page: strophes séparées (à la française) mais décrochement vers la droite du couplet final (comme dans l’édition originale, le ‘quarto’)

Songeant, un jour, comment Théocrite a chanté — 1905 (17)

Fernand Henry Les Sonnets Portugais d’Elizabeth Barrett Browning

I

Songeant, un jour, comment Théocrite a chanté
La douceur du retour de ces chères années
Dont chacune vient tendre en ses mains fortunées,
A tous, jeunes & vieux, le présent souhaité, –

Tandis que par ses vers j’avais l’esprit hanté,
Je revis, à travers mes larmes, ces journées,
Dans le bonheur et dans la tristesse égrenées,
Qui sur mon front avaient tout à tour projeté

L’ombre de leur passage et j’étais toute entière
A pleurer quand soudain, par derrière, aux cheveux
Un fantôme me prit ; et, comme de mon mieux

Je luttais, une voix se fit entendre, altière :
«  Devine qui te tient ? » « C’est la Mort » dis-je. Alors
Tinta ce mot d’argent : « C’est l’Amour, non la Mort ! »

Q15 – T30 – tr

Vous qui écoutez dans ces rimes éparses — 1900 (10)

Hippolyte Godefroy Poésies complètes de François Pétrarque

Canzoniere,1

Vous qui écoutez dans ces rimes éparses le son de ces soupirs dont j’ai nourri mon cœur dans ma première erreur juvénile quand, en partie, j’étais un autre homme que je ne suis.

Pour le style varié dans lequel je pleure et je raisonne au milieu des vaines espérances, des vaines douleurs, partout où l’amour se trouve, de tout homme qui, par expérience, pourra comprendre ma douleur; eh bien, de celui-là, je pourrai trouver la pitié, non moins que le pardon!

Mais je vois bien maintenant que moi, qui ai été si longtemps la fable de tout le peuple, que souvent, j’en suis venu à avoir honte de moi-même;

Je rougis en secret de tous les fous délires, je me reproche ce que j’ai fait et je suis fermement convaincu que tout ce que le monde appelle le plaisir, n’est en réalité qu’un vain songe.

pr – tr