coda 61 Je reste enténébré, régent de mes revers

in  Camille Abaclar Je suis le ténébreux

Gilles Esposito-Farèse

MONOVOCALISME EN E

! ME DESESPERÉ !
(Le désespéré)

Je reste enténébré, régent de mes revers
Entre Gers et Vendée, mes temples se dépècent,
Les célestes reflets décèdent, et mes vers
Revêtent l’encre ébène et terne des détresses.

Mère très regrettée, en ces stèles sévères,
Rendez les mers d’Egée et les terres de Grèce,
L’été cher de mes sens, entremêlement vert
De pêches et de ceps, ère de mes tendresses.

Est-ce Vesper, Cérès? … Entends-je Déméter?
En tête, je ressens ses lèvres de déesse;
Cette femme de rêve émerge et se redresse …

Cerbère est renversé, je pénètre en Enfer,
Et je reprends, le temps des sept thrènes d’Hermès,
Le thème et le secret des fées et des prêtresses.
GERBERT DE NERVEL

 » La seule voyelle employée est le e « 

coda 60 J’ai un cafard obscur, sans conjoint, sans amis,

in  Camille Abaclar Je suis le ténébreux

Gilles Esposito-Farèse

LIPOGRAMME

UN INFAUSTO
(un chagrin)

J’ai un cafard obscur, sans conjoint, sans amis,
Moi l’infant d’Armagnac à l’aboli donjon:
Ma nova disparaît, car un trou noir a mis
Sur mon luth scintillant sa mort, sa constriction.

Dans la nuit m’inhumant, toi qui jadis m’admis,
Fais-moi don du Bassin aquitain, d’Arcachon,
Du mur où l’aramon grimpant s’unit parmi
Ma floraison qui plaît tant à mon affliction.

Sois Amour, Apollon, Biron ou Lusignan!
Mon front rougit toujours d’un bisou si royal;
J’ai vu la narration du lamantin fluvial …

Puis j’ai trois fois au Styx pris l’aviron gagnant,
Modulant tour à tout sur un violon divin
Maint soupirs du croyant ou maints cris du sylvain.
G. LABRUNY

« La lettre e n’est pas utilisée ».

coda 59 L’inconsolé

in Camille Abaclar Je suis le ténébreux

Gilles Esposito-Farèse RÉSUMÉ

EL DO
(le Do)
L’inconsolé
Prince aboli
Est constellé
De l’ancolie.

Du consolé,
Rends l’Italie
Tant désolée:
Elle s’allie.

Suis-je Biron?
Rouge, la reine
– Ou la sirène

De l’Achéron –
A lire Orphée,
Ride la fée.

« On ne conserve que la moitié » (58), « puis le tiers » (59), « de chaque vers. Il s’agit d’une application du procédé d’ « haïkisation » mis au point par Raymond Queneau pour éviter les redondances chez « Phane Armé ».

coda 58 Je suis l’inconsolé

in Camille Abaclar Je suis le ténébreux

Gilles Esposito-Farèse

RÉSUMÉ

EL HADO
(le Destin)

Je suis l’inconsolé
Prince à tour abolie
Et mon luth constellé
Porte mélancolie.

Nuit qui m’as consolé,
Rends la mer d’Italie
A mon coeur désolé
Où le pampre s’allie.

Suis-je Amour ou Biron,
Rouge baiser de reine?
J’ai rêvé la sirène,

Traversé l’Achéron,
Modulant pour Orphée
Les soupirs de la fée.

RARE DE VAL


coda 57 Au premier vers l’on voit un veuf, un ténébreux;

in Camille Abaclar Je suis le ténébreux

Nicolas Graner

COMMENTAIRE

Acerca del Desdichado

(à propos du Déshérité)

Au premier vers l’on voit un veuf, un ténébreux;
Puis on apprend qu’il est prince, mais sans sa tour.
La fin de ce quatrain nous dit qu’il est un peu
Musicien, astronome, et  noir même en plein jour.

Après, quoique enterré, il invoque un ami
Qu’il prie de bien vouloir rendre diverses choses
Qu’il avait bien aimées quand il était, jadis,
Italien, vigneron et amateur de roses.

Dans le premier tercet, après avoir en vain
Cherché son nom, il dit l’idéal féminin
Dont il rêve: une reine, une ondine, un baiser.

Le poème finit par une évocation
Du héros se rendant aux Enfers pour chercher
Deux femmes – plus qu’Orphée – dignes de sa passion.

coda 56 J e s u i s l e T é n é b r e u x , – l e V e u f , – l ‘ I n c o n s o l é ,

in   Camille Abaclar Je suis le ténébreux

Nicolas Graner CARRé

El Descuartizado
(L’Ecartelé)

J e  s u i s  l e  T é n é b r e u x ,  – l e  V e u f ,  –  l ‘ I n c o n s o l é ,
G r a n d  P r i n c e  e n  A q u i t a i n e  à  l ‘ e n s e i g n e  a b o l i e :
Mon seul astre m’a fui, – en mon luth constellé
Bouillonne un soleil froid plein de Mélancolie.

Dans la nuit des défunts, toi qui m’as consolé,
Rends-moi mon Pausilippe et les ports d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur esseulé,
Et la treille où le pampre à l’acanthe s’allie.

Suis-je Eros ou Phoebus? … Lusignan ou Biron?
Ma joue est rouge encor du baiser de la reine;
J’ai rêvé dans la grotte où flotte la Syrène …

Et j’ai dix fois vainqueur traversé l’Achéron:
Chantant chacun leur tour sur la harpe d’Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la Fée.

« Tous les vers comportent le même nombre de caractères. La ponctuation de l’original est respectée. « 

coda 55 Je pense à toi, Myrtho, moi, veuf inconsolé,

in Camille Abaclar Je suis le ténébreux

Alain Zalmanski CHIMÈRE

El Desdimyrtho

Je pense à toi, Myrtho, moi, veuf inconsolé,
Au Pausilippe altier, à la tour abolie,
A ton front inondé, à mon luth constellé,
Aux raisins noirs mêlés avec mélancolie.

Dans la nuit du tombeau où j’avais eu l’ivresse
De la fleur qui plaisait à ton oeil souriant,
C’est aux pieds d’Iacchus que mon coeur, en priant
Sous la treille a conçu un des fils de la Grèce.

Suis-je Amour ou Phoebus? Le volcan s’est rouvert…
Mon front est rouge encor, touché d’un pied agile;
J’ai rêvé de la grotte à l’horizon couvert.

Et j’ai deux fois vainqueur brisé tes dieux d’argile,
Modulant aux côtés des lauriers de Virgile
Les soupirs de la Sainte unis au Myrte vert!

« Fusion de deux sonnets des Chimères de Gérard de Nerval, « Myrtho » et « El Desdichado » « 

coda 54 mon morne coeur se noue en sa veuve cassure.

-in   Camille Abaclar Je suis le ténébreux

Gilles Esposito-Farèse PRISONNIER

un oscuro – un morose –

mon morne coeur se noue en sa veuve cassure.
on censura mon sacre. on annexa ma cour.
un cosmos sans essor ornera mon armure
en une encre vaseuse – un cancer – au secours.

en ce caveau marron – muse exauce ma cure:
recouvrons mes coraux ma corse mon nemours
ce mur aux aramons ou roses en ramures.
ce roseau rassura mon cerveau sans amour.

sommes-nous uranus mercure mars ou verne …
une couronne a su me nuancer en roux
en un somme une nue caresse encor mon cou.

car nous savons ramer sur ce cours aux cavernes
susurrer ou corner en vacarmes vocaux
ces murmures sauveurs – ces sermons monacaux.

« Les caractères qui s’étendent au-dessus ou au-dessous de la ligne d’écriture sont interdits, c’est-à-dire les lettres b, d, f, g, h, i, j, k, l, p, q, t, y et z (le z a un jambage en écriture manuscrite), tous les signes diacritiques, les majuscules, et les signes de ponctuation autres que le point, les deux-points et le tirer (  » contrainte du prisonnier ») « 

par Jacques Roubaud