La mort de mon père est mon plus grand malheur — 1823 (2)

J.B. Gougé Le rossignol ; nouvelles chansons et poésies diverses (ed.1826)

Sonnet-acrostiche, en Bouts Rimés, formant un sens

La mort de mon père est mon plus grand malheur
Grand Dieu ! combien mon âme à cet arrêt suprême
Ose blâmer la Parque en voyant ma douleur
Ulcérer mon sujet de ma tristesse extrême.

Guide encore mes pas au chemin de l’honneur
Ecoute ma prière, accepte un diadème
Au printemps je viendrai t’apporter quelque fleur
Souvent avec amour je prîrai pour toi- même

O toi ! Soleil brûlant, adoré du païen
Ne souffre pas qu‘on souille un sépulcre chrétien
Protège les cyprès qui croissent près sa tombe

Entrailles de la terre, humains, nature, tout
Respectez sa dépouille : il faut que je succombe
En attendant la mort, je te pleure partout

«  gravé sur la tombe de mon Père à Chevilly (Loiret) en 1823 ». Le vers 1 n’ que 11 syllabes.

Q8  T14 acr b.rimé

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Le Trésor poétique dédié à Madame la Duchesse de Berri, contient plusieurs sonnets (du dix-septième siècle surtout)

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jeune, tu nous offrais la rose près d’éclore — 1823 (1)

F(idèle) Delcroix Poésies

Sonnet du Tasse
Negli anni acerbi tuoi …

Jeune, tu nous offrais la rose près d’éclore
Qui timide, élevant son bouton virginal,
De sa verte prison s’échappe, et n’ose encore
Entr’ouvrir sa corolle au zéphyr matinal.

Ou mieux, tu ressemblais à la vermeille Aurore,
Qui, du jour aux humains donnant l’heureux signal,
Sous un ciel pur, sourit aux monts qu’elle colore,
Et fait briller les prés d’un liquide cristal.

Le Temps à ta beauté n’a fait aucune injure:
Une vierge, empruntant tout l’art de la parure,
A ton seul négligé le cèdera soudain.

Telle est, dans son éclat, la rose épanouie;
Tel encore, à midi, plus ardent qu’au matin,
L’oeil du jour étincelle à la vue éblouie.

Q8 – T14  – tr

De l’antique Sonnet les grâces surannées — 1822 (1)

Comte François de Neufchateau in L’Album, Journal des arts, des modes et des théâtres

Sonnet

Sur le genre du Sonnet même

De l’antique Sonnet les grâces surannées
L’ont presque fait bannir du Parnasse français
Les ballades aussi semblent abandonnées,
Et le Rondeau, lui seul, trouve encor quelque accés.

Hélas, je vis jadis, dans mes tendres années,
Le Sonnet plus en vogue, et j’y réussissais.
Des Bouts-Rimés gênants remplir les lois données
Ne fut qu’un jeu pour moi dans mes premiers essais.

Osè-je y revenir? c’est une rude tâche!
Mais voilà deux Quatrains: allons! point de relâche;
Ajoutons deux Tercets, et ce sera fini.

Contre un peu d’amour-propre on n’a point de défense:
Voyez! pour un Sonnet, je me crois rajeuni,
Ou pour dire encor mieux, je retombe en enfance.

Q8 – T14 – s.sur.s

Le thème est indiqué dans le titre. Il commence par les plaintes habituelles sur la décadence de la forme; puis se transforme, dans les tercets, pour rejoindre la variante traditionnelle du sonnet en train de s’écrire. L’histoire de cette variété curieuse de l’espèce sonnet est encore à faire. Je n’en connais pas d’italien; le premier recensé est espagnol, du milieu du seizième siècle (Diego Hurtado de Mendoza); il est passé ensuite en France, dans l’école de Voiture. La Fontaine en a transposé le principe à la ballade. (Le sonnet sur le sonnet du protestant Pierre Poupo (1590) n’appartient pas à la même sous-espèce, étant un poème sur l’art du sonnet).

Italie! Italie! Ah! quel destin perfide — 1821 (4)

Madame de Staël Oeuvres (tome XVII)

Traduction du sonnet de Filicaia sur l’Italie

Italie! Italie! Ah! quel destin perfide
Te donna la beauté, source de tes malheurs?
Ton sein est déchiré par le fer homicide,
Tu portes sur ton front l’empreinte des douleurs.
Ah! que n’es-tu moins belle, ou que n’es-tu plus forte?
Inspire plus de crainte, ou donne moins d’amour.
De l’étranger jaloux la perfide cohorte
N’a feint de t’adorer que pour t’oter le jour.
Quoi! verras-tu toujours descendre des montagnes
Ces troupeaux de Gaulois, ces soldats effrénés,
Qui, du Tibre, du Pô, dans nos tristes campagnes,
Boivent l’onde sanglante, et les flots enchaînés?
Verra-t-on tes enfans, ceints d’armes étrangères,
Des autres nations seconder les fureurs;
Et ne marchant jamais sous leurs propres bannières,
Combattre pour servir, ou vaincus, ou vainqueurs?

ababcdcdefefghgh – sns – 16v – tr

Quand Jésus expiroit, à ses plaintes funèbres, — 1821 (3)

Madame de Staël Oeuvres (tome XVII)

Traduction du sonnet de Minzoni sur la mort de Jésus Christ

Quand Jésus expiroit, à ses plaintes funèbres,
Le tombeau s’entr’ouvrit, le mont fut ébranlé.
Un vieux mort l’entendit dans le sein des ténèbres;
Son antique repos tout à coup fut troublé.
C’était Adam. Alors, soulevant sa paupière,
Il tourne lentement son oeil plein de terreur,
Et demande quel est, sur la croix meurtrière,
Cet objet tout sanglant, vaincu par la douleur.
L’infortuné le sut, et son pâle visage,
Ses longs cheveux blanchis et son front sillonné
De sa main repentante éprouvèrent l’outrage.
En pleurant il reporte un regard consterné
Vers sa triste compagne, et sa voix lamentable
Que l’abîme, en grondant, répète au loin encor,
Fit entendre ces mots: Malheureuse coupable,
Ah! pour toi j’ai livré mon Seigneur à la mort.

ababcdcdefefghgh – sns – 16v – tr

Les miracles du Christ ont étonné Solyme, — 1821 (2)

Pierre Lamontagnede Lançon –  Sur le pardon que Monseigneur le Duc de Berry, en mourant, a accordé à son assassin

Sonnet

Les miracles du Christ ont étonné Solyme,
Et la Nature en lui voyait son Souverain;
Mais ses imitateurs, que son esprit anime,
Montrent de son pouvoir un effet plus certain.

Est-ce toi que j’entends, ô Royale victime!
Priant pour un coupable en mourant de sa main?
Tu veux que du cercueil où te plonge son crime,
Ta voix s’élève encor pour sauver l’assassin.

Ton coeur saisi du froid dont le trépas le glace,
Mais brûlant d’un feu pur allumé par la grâce,
Renouvelle les voeux par ta bouche exprimés.

Le chrétien qui pardonne alors qu’on l’assassine,
Fait bien plus reconnaître une vertu divine,
Que le soleil éteint et les morts ranimés.

Q8 – T15

La fille du soleil, sur un char de lumière, — 1821 (1)

Louis Bonnet (aîné) Poésies

La Bergère sur le point d’aimer. Sonnet.

La fille du soleil, sur un char de lumière,
Rougissait de ses feux les portes du matin:
L’étang réfléchissait un ciel pur et serein,
Et la reine des nuits achevait sa carrière:

Abandonnant déjà l’étable hospitalière,
Io des prés connus reprenait le chemin:
Déjà l’agneau paissant le cytise et le thym
Le long des clairs ruisseaux errait sur la bruyère:

Quand j’entendis ces mots  » D’où viennent mes douleurs?
D’où vient qu’au nom d’Hilas je sens naître mes pleurs?
Pourquoi suis-je sans lui triste, sombre et rêveuse?  »

Ainsi sans voir Hilas, ainsi parlait Iris.
« Aime, ma douce amie, et tu seras heureuse »,
Lui répond le berger  caché dans un taillis.

Q15 – T14 – banv

Dans l’ordre naturel de la création, — 1820 (7)

–  Lazare Carnot Opuscules Poétiques

LA RELIGION

Dans l’ordre naturel de la création,
L’homme est par sa raison au faîte du système:
Mais aux dogmes sacrés de la religion,
Il doit de s’élever au-dessus de lui-même.

Des êtres corporels quittant la région,
Son âme reconnait une essence suprême;
Et sentant qu’elle en est une émanation,
Son immortalité ne peut être un problême.

L’espoir en un Dieu juste est d’un peuple moral
Le trésor le plus pur, le lien social,
La consolation et le frein salutaire.

Mais l’hypocrite en fait un tissu de noirceurs,
Le superstitieux, l’objet de ses terreurs,
Le fanatique, un monstre inique et sanguinaire.

Q8 – T15

Quatre sonnets de Lazare Carnot terminent ce ce premier chapitre. (On remarquera, au vers 10 de 7, un bel hémistiche à deux diérèses). Pour l’écolier, autrefois, Carnot était ‘L’Organisateur de la Victoire’, la victoire des armées de la République sur celles des rois de l’Europe coalisée contre elle. Lisant aujourd’hui la passionnante biographie de Nicole et Jean Dhombres, on découvre le savant des Lumières, le mathématicien admirateur de d’Alembert, l’ingénieur, le penseur des canons, l’officier de l’Ancien Régime, le républicain, le conventionnel, le Montagnard, le survivant de Thermidor, du Consulat, le général de l’Empire, le proscrit de Magdebourg. On imagine sa rencontre avec Hegel, (qui n’a pas, hélas, laissé de traces autres que le fait qu’elle a eu lieu), le dialogue non de deux sourds mais de deux têtes pensantes éclairées de lueurs irréductiblement différentes.

On lit ces lignes écrites peu avant sa mort (1822), à l’annonce de la mort de Napoléon.  » J’ai été affecté plus que beaucoup d’autres peut-être par la grande éclipse dont vous me parlez . On ne voit pas sans émotion tomber un colosse. Mais je vous avoue que généralement en politique, les individus sont peu de choses pour moi. Je ne les considère que sous le rapport du bien et du mal qu’ils font à leur pays; et sans parler de ses désastres militaires, peu d’hommes ont exercé une influence plus funeste que Napoléon sur le sort de leur patrie, malgré les moyens prodigieux, un coup d’oeil perçant, un caractère inflexible, une âme forte et quelquefois magnanime.  »

Dans ses courtes dernières années, Il composa puis rassembla divers poèmes publiés en 1820 sous le titre Opuscules Poétiques du Général Carnot.

L’ouvrage contient 26 sonnets.

L’homme probe aime à voir en tout la Providence: — 1820 (6)

Lazare Carnot Opuscules Poétiques

LA PROVIDENCE

L’homme probe aime à voir en tout la Providence:
Il a besoin de croire; elle allège ses maux:
Il y trouve la paix, le prix de ses travaux;
Ses consolations, la vertu, l’espérance.

Tout s’explique à ses yeux par cette intelligence:
Tout n’a-t-il pas son but? Qui fit les cieux si beaux?
Qui régla les saisons? Qui nourrit les oiseaux?
Qui plaça le remords dans notre conscience?

C’est une vérité toute de sentiment:
On l’affaiblit toujours par le raisonnement:
L’esprit le plus borné comprend l’Etre suprême.

Mais malheur au pervers, qui dépeint l’Eternel
Comme un tyran farouche; et du Dieu qu’il blasphème,
Fait un maître perfide, implacable et cruel.

Q15 – T14 – banv

par Jacques Roubaud