Le soir violet s’est déployé sur ma fenêtre, — 1929 (2)

Louis ChadourneAccords

Le soir violet

Le soir violet s’est déployé sur ma fenêtre,
Il s’est levé de très loin, – par delà les mers,
Avec toute une finalité de non-être,
Comme un drapeau vineux sur les horizons clairs.

Viens, lève-toi, c’est l’heure. Ô ma vieille torture
Et toi, crève, œil sanguinolent de désespoir.
Mais vous dormez. Je sais, bien au-delà des soirs
Une Île où des parfums se traînent, chevelure! ….

Rêves pour notre Amour l’éternelle Jeunesse,
Ou tout au moins une éternité de promesse!
Apaisement, fleurs ou étoiles en veilleuses:

Sans plus jamais, jamais, les écroulements brusques
D’ombre, les fins des réveils de nuits très amoureuses,
Où la Mort fait couler ses doigts bleus sur nos nuques.

1913

Q60 – T14

O Sonnet, tes quatorze rimes, — 1929 (1)

Henri de RégnierVestigia Flammae

Frontispice

O Sonnet, tes quatorze rimes,
En leur ordre bien mesuré,
Ont je ne sais quoi de sacré
Pareil aux dépouilles opimes!

Pur joyau, honneur de nos rimes,
Ton or, avec art ajouté,
Enchâsse le reflet nacré
Des mots qu’avec soin nous polîmes.

Comme les conques de la mer
Que travaille le flot amer
Au gouffre bleu que nul ne sonde,

Tu conserves tous les échos,
O Sonnet à la vie profonde,
En tes méandres musicaux!

Q15 – T14 – banv – octo  – s sur s

La larve a son secret, le cocon son mystère — 1928 (11)

Hugues Delorme in La revue française

Le sonnet larvaire

La larve a son secret, le cocon son mystère
Par quels enchaînements l’insecte est-il conçu ?
Enigme devant quoi le penseur doit se taire
Puisque le plus savant n’en a jamais rien su.

Semence imperceptible, atome inaperçu
D’où vient le papillon, d’où le ver solitaire,
Le phalène en plein ciel, le lombric sous la terre ?
Comment le don de vivre est-il par eux reçu ?

La nature accomplit, aïeule, auguste et tendre,
Mystérieusement sa tâche, sans entendre,
Les cogitations de l’homme sur ses pas.

Et celui-ci, pourtant, à sa tâche fidèle,
Recherchant la clarté, dira, tout rempli d’elle :
« Quelle est donc cette flamme ? … » et ne comprendra pas.

Q10 – T15 -arv —

Comme un beau vase il doit être parfait ou plein. — 1928 (10)

Mathilde Delaporte Sonnets

Le sonnet

Comme un beau vase il doit être parfait ou plein.
Lorsqu’il est vide il faut, sans tache et sans jaspure,
Que les vers, épousant l’harmonieuse épure,
Soient d’un corps précieux, opaque ou cristallin.

Qu’on tremble d’y toucher, si l’on n’est pas enclin
A chercher au travers des mots la forme pure !
Pour oser modeler la parfaite courbure,
Il faut être un Seigneur de l’art, par un Vilain.

Cependant j’ai tenté la tâche difficile,
Et les flancs imparfaits de mon vase d’argile,
S’emplissent lentement d’une rare liqueur,

Ayant pour concentrer l’atome qu’il réclame,
Pressé de mes deux mains ma pensée et mon cœur
J’ai pu dans le Sonnet mettre des gouttes d’âme.

Q15  T14  s sur s

Mieux que l’arc triomphal et l’image d’airain, — 1928 (9)

Henri de RégnierFlamma Tenax

Heredia
« Un vil lierre a suffi à disjoindre un trophée’

Mieux que l’arc triomphal et l’image d’airain,
Par quoi le conquérant survit à sa conquête,
Vaut, pour éterniser la gloire du poète,
Le livre humble à la vue et léger à la main;

Ouvre-le. Relié de cuir ou de vélin
Il t’offre sa beauté éloquente et secrète
Et sa mystérieuse voix est toujours prête
A te dire le vers mémorable et divin.

Heredia! Ton œuvre immortellement neuve,
Déjà d’un quart de siècle a surmonté l’épreuve;
Chaque jour le laurier croît sur elle plus beau;

Et, haussant son nœud vil vers ta gloire étouffée,
Je n’ai pas vu ramper à son socle trop haut
Ce lierre qui suffit à disjoindre un trophée.

Q15 – T14 banv

Plus que l’eau miroitante ou l’azur ingénu, — 1928 (8)

François-Paul Alibert in Chantiers

Inscription

Plus que l’eau miroitante ou l’azur ingénu,
Ou cette palme, objet de toute inquiétude,
Ne substitue encore une autre solitude
Au raisin fugitif dans ta soif contenu

Ensemble ou tour à tour toi-même devenu
Les monstres engendrés de ta sollicitude,
Soit l’austère devoir, soit l’amoureuse étude,
Sur le sable te laisse inextinguible et nu.

Mais de quelque douceur, pour combler son ouvrage,
Que le mortel espoir de ce dernier mirage
T’inspire en vain la source et de désir amer,

Du moins qu’à l’horizon scintille l’onde vierge
Où, des sombres troupeaux engloutis sous la mer,
Une seule sirène adolescente émerge.

Q15 – T14 – banv

Quatre heure du matin! l’aube rose et violâtre — 1928 (7)

Pierre AlbertyLe jardin d’Eros

Dollars

Quatre heure du matin! l’aube rose et violâtre
Filtre sournoisement par les vitraux du bar
Et, peu à peu, voici que paraît plus blafard
L’éclairage diffus des plafonniers d’albâtre.

Dans la moiteur de l’air flotte une odeur douceâtre:
Alcools, poudres de riz, oeillets fanés, pommard!
Effluve féminine et relents de homard;
Le jazz, pour terminer, joue un fox-trot folâtre.

Nue, à même la nappe et les serviettes sales,
Une fille est couchée au milieu de la salle, `
Tandis qu’au gloussement joyeux de ses compagnes

Un américain glabre aux lunettes d’écaille,
Flegmatique, introduit dans l’impudique faille
Des dollars ruisselants péchés dans du champagne!

Q15 – T15

Rien – qu’un paysage pris — 1928 (6)

Odilon-Jean PérierPoèmes

Dédicace
à R. de G.

Rien – qu’un paysage pris
Page vide – pure estampe,
Entre tes yeux et la lampe
Seule à lui donner du prix,

Rien qu’un déchirant esprit
De neige et de solitude,
Mes chants que tu as surpris
Par une amicale étude,

Ces feux! qui devaient dorer
L’aile de ma poésie,
Cendres ne lui ont laissé

Que les ombres de sa vie,
Rien! mais tout à commencer
Sous les rires de Janvier.

Q44 – T19 – 7s – disp: 4+4+4+2

Sur le trottoir fleurant la cuisse et le cigare — 1928 (4)

Gustave Le Rouge Verlainiens et décadents

Le Diseur de caveaux

Sur le trottoir fleurant la cuisse et le cigare
De ce café noté du flic en cent bagarres,
Le Diseur grave, tel un juge en sa cimarre

Baîlle et s’explame en des faux cols très inédits.
Il savoure, couvé par les yeux ébaubis
Des garçons de café propices aux crédits,

Le respect des beautés autour de lui rangées.
Or l’absinthe, dont sa fringale s’est gorgée,
S’est habilement jusqu’à très tard prolongée.
Mais une inquiétude abrège les gorgées.

Car l’heure approche où va s’empiler aux caveaux,
Le peuple familier des michés et des veaux.
Ivre du bock promis et sûr des longs bravos,
Il s’encourt déclamer son ode au vieux chameau.

s.rev: ddd ccc bbbb aaaa –  » un peu à la manière de Laurent Tailhade « .

par Jacques Roubaud