Archives de catégorie : Q08 – abab abab

Mort, qu’es-tu? réponds-moi. L’âme vile et coupable — 1829 (1)

Nestor de Lamarque in Auguste Amic: Les méridionales

Sur la Mort

Mort, qu’es-tu? réponds-moi. L’âme vile et coupable
Se trouble à ton seul nom, s’alarme à tes assauts;
Tu montres au tyran le bras inexorable,
Qui du monde, à son tour, vient briser les fléaux.

Mais l’homme infortuné, que sans espoir accable
Le poids de la misère et de ses durs travaux,
Sourit au sombre aspect de l’heure inévitable,
Expire, et dans ton sein dépose tous ses maux.

Dans les champs périlleux qu’illustre son audace,
Le guerrier intrépide affronte la menace;
Le sage sait attendre, et te voit sans terreurs …

De nos biens, de nos maux, achève la mesure,
O mort, change à ton gré de forme et de figure,
Fantôme revêtu de nos vaines erreurs.

Q8 – T15

Mon nom parmi leurs noms! Y pouvez-vous songer? — 1828 (4)

–  Charles Nodier in Album d’Emile Deschamps

Mon nom parmi leurs noms! Y pouvez-vous songer?
Et vous ne craignez pas que tout le monde en glose?
C’est suspendre la nèfle aux bras de l’oranger,
C’est marier l’hysope aux boutons de la rose.

Il est vrai qu’autrefois j’ai cadencé ma prose,
Et qu’aux règles des vers j’ai voulu la ranger;
Mais sans génie, hélas, la rime est peu de chose,
Et d’un art décevant j’ai connu le danger.

Vous, cédez à la loi que le talent impose;
Unissez, dans vos vers, Soumet à Béranger,
Et l’esprit qui pétille à la raison qui cause.

Volez de fleurs en fleurs, comme, dans un verger,
L’abeille qui butine et jamais ne se pose.
Ce n’est qu’en amitié qu’il ne faut pas changer.

Q8 – T20 – y=x : c=b&d=a

Quand le temps, grand changeur des hommes et des choses, — 1828 (2)

Emile Deschamps Etudes françaises et étrangères

Sonnet

Quand le temps, grand changeur des hommes et des choses,
Aura, sur ce beau lieu, jeté l’oubli des ans,
Quand chênes et sapins, brisés comme des roses,
Ne seront plus que cendre ou cadavres gisants;

Qui sait si, du chaos de ces métamorphoses,
Ressuscitant nos bois, aux détours séduisants,
L’histoire saura dire à nos vieux fils moroses,
Quels rois y poursuivaient sangliers et faisans?

Mais peut-être mes vers, à la race lointaine,
Diront: Elle passa deux mois à Mortfontaine,
Et ces deux mois pour nous, passèrent comme un jour;

Et c’est pourquoi les fleurs, les biches inquiètes,
Et les oiseaux chanteurs, et les amants poëtes,
Pleins du souvenir d’elle, aimaient tant ce séjour.

Q8 – T15

Prince, c’en est donc fait, tu te rends dans la tombe!! … — 1827 (1)

Emile Astaix Essais de Versification

Sonnet sur la mort de Sa Majesté Louis XVIII, Roi de France

Prince, c’en est donc fait, tu te rends dans la tombe!! …
Le burin de l’histoire et la postérité,
Qui pleureront le jour où ta bonté succombe,
Diront que ta vertu vaut l’immortalité!

Hélas! les vifs regrets de la tendre colombe
Lorsque du plomb mortel son amant est blessé,
N’égaleront jamais ceux où mon coeur retombe
Au douloureux aspect de ton astre éclipsé.

Que m’importe la vie en ce moment funeste?
Au trépas de mon roi, grand Dieu, quel bien me reste? …
Le seul épanchement de mes chagrins pieux.

Mais sans doute ton âme à ses aïeux augustes
Ne pouvait envier un sort plus glorieus …
LOUIS s’est endormi du beau sommeil des justes!

Q8 – T14

Employé de banque à Bordeaux. L’un de ses deux sonnets. (L’autre est un acrostiche).

O ! Cieux, si du Très-Haut, dans votre immensité, — 1826 (2)

J-L – J.R. Les quatorze sonnets

La Divinité

O ! Cieux, si du Très-Haut, dans votre immensité,
Vous ne faites pourtant qu’étaler la puissance,
Quel sera donc l’éclat propre à sa majesté ?
Qui pourra soutenir sa gloire et sa présence ?

A lui seul est l’Empire et la Divinité,
Gardons-nous de vouloir pénétrer son essence,
Tandis que trois fois saint, sans blesser l’unité,
Il s’éclipse aux regards de votre intelligence.

Mais puisque sa nature au-dessus des humains
Demeure inaccessible à nos yeux incertains,
N’allons pas rechercher le jour avant l’aurore.

Mortel en attendant qu’elle se fasse voir,
Que ta raison se taise et ton silence adore
L’être dont le néant reconnut le pouvoir.

Q8  T14

Louis montait au ciel; son frère sans défense, — 1824 (2)

Hippolyte Thomas Sonnets

Louis XVIII et Madame

Louis montait au ciel; son frère sans défense,
Loin de la tombe, hélas! où dorment ses aïeux,
Traînant de rois en rois une oisive espérance,
Sur des malheurs sans crime interrogeait les Cieux.

Partout du désespoir le douloureux silence!
Tel, dans la Grèce antique, un sort injurieux
De coupables remords effrayait l’innocence
Et dévouait Oedipe aux caprices des dieux.

Fille du roi-martyr, dans ces longs jours d’orages,
Devant l’éternité, cette mer sans rivages,
Tu dépouillas la gloire à l’ombre des autels!

Là, sous un deuil pieux, dans une vie austère,
Cultivant du Thabor la palme solitaire,
Ta vertu vengea Dieu du mépris des mortels.

Q8 – T15

La mort de mon père est mon plus grand malheur — 1823 (2)

J.B. Gougé Le rossignol ; nouvelles chansons et poésies diverses (ed.1826)

Sonnet-acrostiche, en Bouts Rimés, formant un sens

La mort de mon père est mon plus grand malheur
Grand Dieu ! combien mon âme à cet arrêt suprême
Ose blâmer la Parque en voyant ma douleur
Ulcérer mon sujet de ma tristesse extrême.

Guide encore mes pas au chemin de l’honneur
Ecoute ma prière, accepte un diadème
Au printemps je viendrai t’apporter quelque fleur
Souvent avec amour je prîrai pour toi- même

O toi ! Soleil brûlant, adoré du païen
Ne souffre pas qu‘on souille un sépulcre chrétien
Protège les cyprès qui croissent près sa tombe

Entrailles de la terre, humains, nature, tout
Respectez sa dépouille : il faut que je succombe
En attendant la mort, je te pleure partout

«  gravé sur la tombe de mon Père à Chevilly (Loiret) en 1823 ». Le vers 1 n’ que 11 syllabes.

Q8  T14 acr b.rimé

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Le Trésor poétique dédié à Madame la Duchesse de Berri, contient plusieurs sonnets (du dix-septième siècle surtout)

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jeune, tu nous offrais la rose près d’éclore — 1823 (1)

F(idèle) Delcroix Poésies

Sonnet du Tasse
Negli anni acerbi tuoi …

Jeune, tu nous offrais la rose près d’éclore
Qui timide, élevant son bouton virginal,
De sa verte prison s’échappe, et n’ose encore
Entr’ouvrir sa corolle au zéphyr matinal.

Ou mieux, tu ressemblais à la vermeille Aurore,
Qui, du jour aux humains donnant l’heureux signal,
Sous un ciel pur, sourit aux monts qu’elle colore,
Et fait briller les prés d’un liquide cristal.

Le Temps à ta beauté n’a fait aucune injure:
Une vierge, empruntant tout l’art de la parure,
A ton seul négligé le cèdera soudain.

Telle est, dans son éclat, la rose épanouie;
Tel encore, à midi, plus ardent qu’au matin,
L’oeil du jour étincelle à la vue éblouie.

Q8 – T14  – tr

De l’antique Sonnet les grâces surannées — 1822 (1)

Comte François de Neufchateau in L’Album, Journal des arts, des modes et des théâtres

Sonnet

Sur le genre du Sonnet même

De l’antique Sonnet les grâces surannées
L’ont presque fait bannir du Parnasse français
Les ballades aussi semblent abandonnées,
Et le Rondeau, lui seul, trouve encor quelque accés.

Hélas, je vis jadis, dans mes tendres années,
Le Sonnet plus en vogue, et j’y réussissais.
Des Bouts-Rimés gênants remplir les lois données
Ne fut qu’un jeu pour moi dans mes premiers essais.

Osè-je y revenir? c’est une rude tâche!
Mais voilà deux Quatrains: allons! point de relâche;
Ajoutons deux Tercets, et ce sera fini.

Contre un peu d’amour-propre on n’a point de défense:
Voyez! pour un Sonnet, je me crois rajeuni,
Ou pour dire encor mieux, je retombe en enfance.

Q8 – T14 – s.sur.s

Le thème est indiqué dans le titre. Il commence par les plaintes habituelles sur la décadence de la forme; puis se transforme, dans les tercets, pour rejoindre la variante traditionnelle du sonnet en train de s’écrire. L’histoire de cette variété curieuse de l’espèce sonnet est encore à faire. Je n’en connais pas d’italien; le premier recensé est espagnol, du milieu du seizième siècle (Diego Hurtado de Mendoza); il est passé ensuite en France, dans l’école de Voiture. La Fontaine en a transposé le principe à la ballade. (Le sonnet sur le sonnet du protestant Pierre Poupo (1590) n’appartient pas à la même sous-espèce, étant un poème sur l’art du sonnet).

Les miracles du Christ ont étonné Solyme, — 1821 (2)

Pierre Lamontagnede Lançon –  Sur le pardon que Monseigneur le Duc de Berry, en mourant, a accordé à son assassin

Sonnet

Les miracles du Christ ont étonné Solyme,
Et la Nature en lui voyait son Souverain;
Mais ses imitateurs, que son esprit anime,
Montrent de son pouvoir un effet plus certain.

Est-ce toi que j’entends, ô Royale victime!
Priant pour un coupable en mourant de sa main?
Tu veux que du cercueil où te plonge son crime,
Ta voix s’élève encor pour sauver l’assassin.

Ton coeur saisi du froid dont le trépas le glace,
Mais brûlant d’un feu pur allumé par la grâce,
Renouvelle les voeux par ta bouche exprimés.

Le chrétien qui pardonne alors qu’on l’assassine,
Fait bien plus reconnaître une vertu divine,
Que le soleil éteint et les morts ranimés.

Q8 – T15