Archives de catégorie : T15 – ccd eed

En tout temps, comme en tout séjour, — 1885 (9)

Emile Blémont La belle aventure

Sonnet galant

En tout temps, comme en tout séjour,
Ils remporteront la victoire
Vos yeux pleins de lumière noire,
Vos yeux bruns imprégnés d’amour.

A quoi bon porter tour à tour
L’or, l’argent, le satin, la moire?
Dévoilez plutôt votre gloire,
Beauté plus belle que le jour!

Aimons-nous sans menteuses luttes!
Un baiser de quelques minutes
Vaut toute une heure à babiller.

Faire toilette vous amuse:
Parez-vous, ma petite muse,
Puis laissez-vous déshabiller.

Q15 – T15 – octo

Aimer, c’est vivre un jour, mais un seul: puis mourir. — 1885 (3)

– (Alfred Delvau) – Les Sonneurs de Sonnets – 1540-1866 –

Aimer, c’est vivre un jour, mais un seul: puis mourir.
Combien d’un premier deuil l’absence se désole!
à des lettres pourtant l’on pourra recourir:
le papier confident, c’est presque la parole!

Et puis, ressource vaine ou promesse frivole,
bientôt on s’écrit moins. Ne vient-il pas s’offrir
maint obstacle à laisser l’occasion fléchir?
Puis Elle n’écrit plus: la tristesse s’envole.

O mobilité d’âme où le monde est soumis!
ceux qu’on a tant aimés cherchent d’autres amis.
Pour le premier jaloux quelle sombre amertume!

Puis à lui-même, un jour, arrive pas à pas
l’oubli. Sommeil du coeur vous êtes le trépas!
Le coeur est une terre où tout mort se consume.
A. Delatouche

Q10 – T15 –  » J’ai respecté cette manie de Delatouche qui consiste à ne mettre en capitales au commencement de chaque vers que lorsqu’il y avait lieu, c’est à dire lorsque le vers précédent finissait par un point. Mais c’est une manie bien agaçante pour le lecteur. Les vers sont des vers, que diable! ce n’est pas de la prose. « 

Cueillant les nénuphards d’or jaune et les muguets, — 1884 (21)

Laurent Tailhade
Bagnères-Thermal

Prélude

Cueillant les nénuphards d’or jaune et les muguets,
J’ai conduit ma douleur morose au fil des berges,
Parmi les amoureux quelconques et très gais
Qui grouillent sur le seuil friturier des auberges.

Photographes rêvant aux anciens Uruguais,
Canoteurs insultant la majesté des fleuves,
S’ébattant avec des cris fous de papegais
A travers des sérails de modistes peu neuves.

Ils sont très gais, sachant que, demain, ils pourront
A l’ombre des comptoirs rasséréner leur front
Sous les yeux paternels, ô Durand, qui les guettes.

Leur joie obtuse endort ma peine et, quand le soir
Monte dans l’azur clair, près d’eux je viens m’asseoir
Et mange du lapin aux bosquets des guinguettes.

Q32 – T15

Toi dont les yeux erraient, altérés de lumière, — 1884 (19)

Leconte de Lisle Poèmes tragiques

A un poète mort

Toi dont les yeux erraient, altérés de lumière,
De la couleur divine au contour immortel
Et de la chair vivante à la splendeur du ciel,
Dors en paix dans la nuit qui scelle ta paupière.

Boire, entendre, sentir? Vent, fumée et poussière.
Aimer? La coupe d’or ne contient que du fiel.
Comme un Dieu plein  d’ennui qui déserte l’autel,
Rentre et disperse-toi dans l’immense matière.

Sur ton muet sépulcre et tes os consumés
Qu’un autre verse ou non les pleurs accoutumés,
Que ton siècle banal t’oublie ou te renomme;

Moi, je t’envie, au fond du tombeau calme et noir,
D’être affranchi de vivre et de ne plus savoir
La honte de penser et l’horreur d’être un homme!

Q15 – T15

Que ne ferait-on pas, Madame, pour vous plaire? — 1884 (7)

Joseph RoyDents de lait

Quatrain demandé

Que ne ferait-on pas, Madame, pour vous plaire?
Puisque vous l’exigez, au jour de l’an prochain,
J’enfourcherai pour vous Pégase, c’est certain.
Que je le dompte alors ou qu’il me jette à terre,

N’importe, j’essaierai de rimer un Quatrain,
Pour tenir ma promesse et pour vous satisfaire.
Accoupler quatre vers, mon Dieu! la chose est claire
Et ne demande pas un effort surhumain.

Phoebus est de mauvaise humeur, à cette époque,
Où pour ses grands-parents chaque moutard l’invoque.
Ne l’importunons pas: soyons concis et net.

Voyons un peu, comptons nos vers: un, deux, trois quatre,
Cinq, six, sept, huit, neuf, dix. Ah! je devrais me battre:
Je pars pour le Quatrain, et j’arrive au Sonnet.

Q10 – T15 – s sur s

Près d’un « objet charmant » — 1884 (3)

– Le Docteur (Georges) CamusetLes Sonnets du Docteur

Préservatifs

Près d’un « objet charmant »
Lorsque l’amour m’appelle,
Avant de voir ma belle
Je passe chez Millant.

Là, du petit au grand,
Flotte une ribambelle
De rubans qu’avec zèle
Il gonfle en y soufflant.

Enfin! j’ai ma mesure!
Au sein de la luxure,
Vite, allons nous plonger.

Caché dans la baudruche,
Je veux comme l’autruche,
Ne plus croire au danger.

Q15 – T15 – 6s

Bien avant que Fourier rêvât le Phalanstère,— 1884 (2)

– Le Docteur (Georges) CamusetLes Sonnets du Docteur

Le ver solitaire

Bien avant que Fourier rêvât le Phalanstère,
Bien avant Saint-Simon et le Père Enfantin,
Dans les retraits ombreux du petit intestin
Le Scolium déjà pratiquait leur chimère.

Un cestoïde obscur, un simple entozoaire,
Avait constitué l’Etat républicain.
Martyr voué d’avance au remède africain,
Salut, fils du Scolex, pâle et doux Solitaire!

Tes anneaux, dont chacun forme un ménage uni,
Sur un boyau commun prospèrent à l’envi
L’un à l’autre attachés, pas plus sujets que maîtres.

Oui, c’est un beau spectacle, et l’on doit respecter
Le sentiment profond qui me pousse à chanter
En vers de douze pieds le ver de douze mètres.

Q15 – T15 – cestoïde (Héloise Neefs : Les disparus du Littré) terme didactique. Qui a la forme d’un ruban, d’une ceinture. // vers cestoïdes, ordre d’animaux de la classe des helminthes, caractérisés par un corps mou. Le taenia est un vers cestoïde – (TLF° scolex : Partie antérieure des vers cestoïdes ou tête de ténia, pourvue de ventouses et parfois de crochets

Trois fois chaste Ninon que j’aime – ma maîtresse, — 1883 (28)

? in Tintamarre (mars )

Sonnet circulaire

à la façon de Privé, mon ami – l’auteur a dédié, voilà quelque temps, à cette même place, des vers « à une catin ». Il dédie ceux-ci – à une femme

Trois fois chaste Ninon que j’aime – ma maîtresse,
Et ma mère, et ma sœur, – trois fois pure beauté
Sur laquelle je lève, aux heures de détresse,
Mes yeux où les orgueils de l’art ont éclaté ;

Ma muse – car vous seule êtes assez traîtresse
Pour m’inspirer encor, par votre honnêteté,
Les sublimes ardeurs d’une foi vengeresse
Sifflant ses rimes d’or au monde épouvanté !

Vous que, tout bas, je nomme et que nul ne devine,
Vous dont je sens pour moi l’influence divine
Soulever le rideau des horizons vermeils ;

Avez-vous lu ces vers « immoraux et stupides »
Qui, sous ma signature, en cadences limpides,
Ont secoué l’Ignoble en ses sales sommeils ?

Or donc, ils secouaient l’ignoble en ses sommeils.
Et, si tu les a lus, avec tes yeux limpides,
Tu les as dû trouver moraux – et non stupides.

La fange fait aimer les coeux clairs et vermeil !
N’est-ce pas dans les nuits intenses quon devine
Les douloureux besoins de lumière divine ?

Certes, plus d’un bourgeois en fut épouvanté,
De ces vers, où sifflait ma haine vengeresse,
Où riait aux éclats ma fauve honnêteté
Foulant sous ses pieds nus l’hétaïre traîtresse !

Et tant mieux ! – moi, je sais, lorsqu’ils ont éclaté,
Combien pénible était ma profonde détresse,
Et combien ils faisent ressortir ta beauté,
Et quel hommage ils sont pour vous – ô ma maîtresse !

Q8 – T15 – s+s.rev

Est-il donc vrai, Boileau, que ce petit poème, — 1883 (27)

E. Chalamel in le Feu Follet

Sonnet
contre le sonnet

Est-il donc vrai, Boileau, que ce petit poème,
Aux rimes se croisant dans ses quatorze vers,
Soit, lorsqu’il est parfait, de l’art la fin extrême ?
Un chef-d’oeuvre que doit admirer l’univers ? …

Cela doit l’être, car tu nous l’as dit toi-même,
D’ailleurs ceux que tu fis, n’ont jamais eu de pairs,
Comment pus-tu résoudre un semblable problème ? …
Moi j’y brûle mon sang, j’en blémis, je m’y perds ! …

Qu’il en est cependant qui de la renommée
Boivent le doux nectar, trônent dans l’empyrée,
Et, veux-tu des sonnets ? … En voilà des empans ! …

Cela sort de partout ; cela vole par troupes :
Ainsi les charlatans avalent des étoupes
Et jettent aux badauds des années de rubans.

Q8  T15  s sur s