Archives de catégorie : formules principales

Madame de Méryan va mourir. Désirant — 1902 (12)

– Hughes Delorme in Léon de Bercy : Montmartre et ses chansons


La mort en dentelles
I

Madame de Méryan va mourir. Désirant
Entrer au Purgatoire en digne et noble allure,
Elle a fait crêpeler au front sa chevelure.
Des engageantes en dentelle à triple rang

Sortent des frêles bras d’un laiteux transparent.
Un couple de ramiers s’ébat sur la moulure
Du grand lit clair où l’or brode sa ciselure …
Elle oppose au trépas le dédain conquérant

De ceux qui savent bien lui ravir quelque chose ;
Car, hautain, son regard fixe au mur le pastel
Où Liotard le Turc a su rendre immortel

Le bonheur de sa lèvre immuablement rose …
Dans un hoquet discret Madame de Méryan
Sourit à son sourire, et meurt en souriant.

Q15  T30

Sous votre petit blanc bonnet, — 1902 (11)

F.A CazalsLe jardin des ronces

Sonnet à l’infirmière

Sous votre petit blanc bonnet,
Blanc bonnet, bonnet blanc qu’on jette
Par-dessus – sautez et tournez –
Tous les moulins de la Galette !

Vous trottez et vous trottinez,
Telle, en d’autres temps, Marinette,
Souriant à quel Gros-René
Sous votre bonnet de soubrette ?

Vous prenez un air virginal
Pour, avec un geste adorable,
Présenter, quoi donc ? l’urinal ! …

Cependant qu’un vieil incurable,
Mis en goût par son lavement,
Vous mange des yeux goulûment !

Q8  T14  octo

Dans un désert d’Afrique, au milieu d’une flaque, — 1902 (8)

Leconte de Lisle in Oeuvres diverses

Zanzibar

Dans un désert d’Afrique, au milieu d’une flaque,
Deux makis accouplés ayant fait leur sommier
Zanzibar en naquit, d’un noir teinté de laque,
Et, sitôt né, grimpa le long d’un grand palmier.

Plus tard, maigre, étriqué sous un habit qui plaque,
Il roucoula des vers, en singeant le ramier;
Mais il ne recueillit pour bravos qu’une claque,
Qui le fit remonter à l’arbre coutumier.

Quand donc le mettra-t-on dans la noire cellule,
Où le ver blanc, moins laid qu’un vers de lui, pullule,
Quand y sèchera-t-il ainsi qu’un vieux citron?

Qu’il ait pu voir le jour, c’est l’éternel reproche
Que l’on doit adresser au céleste mitron
Qui, sans rien mettre au four, a fait cette brioche.

Q8 – T14  – Sonnet sur bouts rimés fournis par Louis Ratisbonne (Nouvelle Revue); un Leconte de Lisle peu connu

Vous demandez, madame, à ma plume un sonnet? — 1902 (7)

Jean Du Sandillat Près des grands bois

Vous voulez un sonnet?

Vous demandez, madame, à ma plume un sonnet?
Bien grand est son émoi, car je la sens qui tremble,
Mais si vous le voulez, nous le ferons ensemble;
Je saisis le crayon, vous tiendrez le carnet.

« Près de la rose, ainsi soupirait le genêt;
Le Ciel n’a pas créé de fleur qui te ressemble,
En ton sein de parfum à la beauté s’assemble…  »
Mais … vous froissez la page où ma main dessinait!

Ah! vous avez cru voir, sous les traits de la rose
Votre visage .. Eh bien, vous mentir, moi je n’ose,
Oui, du genêt j’avais revêtu le manteau!

Un sonnet, a-t-on dit, égale un long poème,
Ah! Madame, à nous deux nous l’eussions fait si beau!
Vous avez un sonnet… Et j’ai dit « Je vous aime! »

Q15 – T14 – banv – s sur s

Sous les terrasses du Royal défilent les goums — 1902 (6)

Henri Jean-Marie LevetCartes Postales

Algérie – Biskra
A Henry de Bruchard

Sous les terrasses du Royal défilent les goums
Qui doivent prendre part à la fantasia:
Sur son fier cheval qu’agace le bruit des zornas,
On admire la prestance du Caïd de Touggourth …

Au petit café maure où chantonne le goumbre
Monsieur Cahen d’Anvers demande un cahouha:
R.S. Hitchens cause à la belle Messaouda,
Dont les lèvres ont la saveur du rhât-loukoum …

Le soleil, des palmiers, coule d’un flot nombreux
Sur les épaules des phtisiques radieux;
La baronne Traurig achète un collier d’ambre;

La comtesse de Pienne, née de Mac-Mahon
Se promène sur le boulevard Mac-Mahon …
– « Hein! Quel beau temps! se croirait-on à fin décembre?  »

Q15 – T15 – m.irr  – Mètre désinvolte

Composer un sonnet, quelle folle entreprise! — 1902 (5)

Edouard d’HervilleLes jours et les nuits

A Cypris

Composer un sonnet, quelle folle entreprise!
C’est vouloir conquérir la fameuse toison
Sans l’aide de Médée et sans être Jason.
Mais, pour plaire à Cypris il faut que je m’épuise.

Elle veut un sonnet: j’ai l’âme trop éprise
Pour ne pas obéir à ce charmant démon.
Je veux glisser mes vers ce soir sous l’édredon;
Ce sera pour ma mie une aimable surprise.

Amour, sois-moi propice et dirige mes pas,
Au milieu du chemin ne m’abandonne pas
Et bientôt je pourrai célébrer ma victoire.

Oui déjà, grâce à toi, j’entrevois le bonheur,
Et, fier de ton appui, je chante ici ta gloire.
– Cypris, je touche au but; toucherai-je ton cœur?

Q15 – T14  s sur s

Jeune, le sein parfait et les muscles nerveux, — 1902 (4)

Albert MératVers oubliés

A Miss Léona Dare, acrobate

Jeune, le sein parfait et les muscles nerveux,
Dans des jeux inouïs d’effrayante bascule,
Elle est comme Guzman qui jamais ne recule,
Et, demeurant coquette arrange ses cheveux!

Vers elle, dans les airs, pour élever ses vœux,
Il faudrait être au moins demi-dieu comme Hercule.
Tout autre amour serait chétif et ridicule.
On en rirait encor chez nos petits-neveux.

Tant de grâce adorable à tant de force unie
A changé simplement les lois de l’harmonie.
La grâce les plaçait dans l’immobilité.

Miss Léona, ce rêve aux postures étranges,
Rappelant un autre art et la chute des Anges ,
Même la tête en bas, atteste la Beauté.

Q15 – T15

Ceux-ci, las de l’aurore et que tenta la vie, — 1902 (3)

Henri de Régnier La cité des eaux

Dédicace

Ceux-ci, las de l’aurore et que tenta la vie,
S’arrêtent pour jamais sous l’arbre qui leur tend
Sa fleur délicieuse et son fruit éclatant
Et cueillent leur destin à la branche mûrie.

Ceux-là, dans l’onyx dur et que la veine strie,
Après s’être penchés vers l’eau la reflétant,
Sur la pierre vivante et qui déjà l’attend
Gravant le profil vu de leur propre effigie

D’autres n’ont rien cueilli et ricanent dans l’ombre
En arrachant la ronce aux pentes de décombre,
Et leur haine est le fruit de leur obscurité.

Mais vous Maître, certain que toute gloire est nue,
Vous marchiez dans la vie et dans la vérité
Vers l’invisible étoile en vous-même apparue.

(A la Mémoire de Stéphane Mallarmé)

Q15 – T14 – banv

Un sonnet, dites-vous; savez-vous bien, Madame, — 1902 (1)

– revue Le Sonnettiste (Louis Le Roy)

Un Sonnet

Un sonnet, dites-vous; savez-vous bien, Madame,
Qu’il me faudra trouver trois rimes à sonnet?
‘Madame’, heureusement, rime avec ‘âme’ et ‘flamme’,
Et le premier quatrain me semble assez complet.

J’entame le second. Le second je l’entame
Et prends en l’entamant un air tout guilleret;
Car ne m’étant encor point servi du mot ‘âme’,
Je compte m’en servir et m’en sers en effet.

Vous m’accorderez bien, maintenant, j’imagine,
Qu’un sonnet sans amour ferait fort triste mine,
Qu’il aurait l’air boiteux, contrefait, mal tourné.

Il nous faut de l’amour, il nous en faut quand même,
J’écris donc en tremblant: je vous aime ou je t’aime,
Et voilà, pour le coup, mon sonnet terminé.

Q8 – T15  – s sur s

Un nuage a passé sur votre ciel, Madame, — 1901 (14)

Guy de Maupassant in  Annales politiques et littéraires

Sonnet

Un nuage a passé sur votre ciel, Madame,
Cachant l’astre éclatant qu’on nomme l’Avenir,
La douleur a jeté son crêpe sur votre âme
Et vous ne vivez plus que dans un souvenir.

Tout votre espoir s’éteint comme meurt une flamme,
Aucun lien parmi nous ne vous peut retenir,
Vous souffrez et pleurez, et votre coeur réclame
Le grand repos des morts qui ne doit pas finir.

Mais songez que toujours, quand le malheur nous ploie,
Aux coeurs les plus meurtris Dieu garde un peu de joie
Comme un peu de soleil en un ciel obscurci.

Et que de ce tourment qui ronge notre vie,
Madame, si demain vous nous étiez ravie,
Bien d’autres souffriraient qui vous aiment aussi.

Q8  T15