Archives de catégorie : s sur s

Sonnets sur le sonnet

« Ce n’est pas bien malin d’accoucher d’un sonnet » — 1907 (1)

Joseph CorrardCent sonnets

Au critique

« Ce n’est pas bien malin d’accoucher d’un sonnet »
Disait un freluquet; « quatorze lignes … qu’est-ce?
Tout poète en trouve un, le soir, sous son bonnet:
Pas besoin, pour ça, de battre la grosse caisse! »

– Ami, prends ton absinthe ou bien ton Dubonnet.
Lis les journaux du soir, les nouvelles, mais laisse,
Loin de ta tabagie, errer seul ce benêt,
Ce rimailleur, ce fou … qui tient la lune en laisse!

– C’est bien simple, disait un coq, de pondre un œuf;
J’en vois tous les jours pondre avec neuf poules …. neuf!
Au fond d’un poulailler, blottie et plume en boule,

On s’accoufle, on s’installe en le meilleur confort
Et l’on attend … Après un tout petit effort
L’œuf arrive – Oui, cria quelqu’un …., quand on est poule.

Q8 – T15 – s sur s

Aux jours d’or où les dieux reconnaissaient leurs frères — 1906 (4)

Fagus Jeunes fleurs

Invention du sonnet

Aux jours d’or où les dieux reconnaissaient leurs frères
Essaimaient par la terre et se mêlaient à nous,
A ces jeunes humains robustes, beaux et doux,
Ils léguèrent la lyre aux quatre cordes paires :

Quand Terpandre eut trouvé les trois voix septénaires
Les maîtres de leur cœur se sentirent jaloux.
Nous, filleuls délaissés soudain réveillés loups
Oublièrent la lyre ; or les dieux émigrèrent

Et revinrent ; des fibres d’un grand cœur saignant
Tendirent chacun une lyre et les joignant
–       Pétrarque d’Arrezzole et Dante de Florence –

Pour qu’à nouveau l’on pût chanter par l’univers,
Les fastes, la beauté, les deuils et l’espérance
Les fils des dieux en ourdirent deux foix sept vers.

Q15  T14  – banv –  s sur s

J’admire, en mes beaux projets d’art, — 1905 (3)

Léon Duvauchel Poésies

Le sonnet

J’admire, en mes beaux projets d’art,
Ce moule parfait de l’idée:
Coupe élégamment évidée
Dans laquelle buvait Ronsard.

Parfois, payé par le regard
D’un démon, peut-être Asmodée?
L’âme de désirs excédée
J’y brûlai l’encens et le nard.

Larmes, baisers, douleur ou joie,
Ceux qu’on rebute et ceux qu’on choie
Y versent le sang de leur cœur.

Qu’exige-t-il de qui l’inspire,
Et veut épuiser sa liqueur? ….
A peine le temps d’un sourire.

Q15 – T14 – banv – octo – s sur s

Faire un sonnet semble chose facile; — 1903 (6)

L.D. Bessières Mes trois sansonnets

Le sonnet

Faire un sonnet semble chose facile;
L’alexandrin et le versiculet
S’y prêtent, mais, fait ou non d’un seul jet,
Le réussir en tout est difficile.

Il n’y faut mettre un seul mot inutile,
Lui bien donner la couleur du sujet;
Qu’il soit mordant, amoureux, indiscret,
Extravagant, sérieux, ou futile.

Mais commencer, avant d’avoir rien fait,
Par composer le deuxième tercet;
S’il est bon, c’est la moitié de l’ouvrage.

Car là devra se porter tout l’effet,
Le coloris, la plus puissante image
Qui doit former la chute du sonnet.

Q15 – T14 – banv –   – s sur s  déca

Vous demandez, madame, à ma plume un sonnet? — 1902 (7)

Jean Du Sandillat Près des grands bois

Vous voulez un sonnet?

Vous demandez, madame, à ma plume un sonnet?
Bien grand est son émoi, car je la sens qui tremble,
Mais si vous le voulez, nous le ferons ensemble;
Je saisis le crayon, vous tiendrez le carnet.

« Près de la rose, ainsi soupirait le genêt;
Le Ciel n’a pas créé de fleur qui te ressemble,
En ton sein de parfum à la beauté s’assemble…  »
Mais … vous froissez la page où ma main dessinait!

Ah! vous avez cru voir, sous les traits de la rose
Votre visage .. Eh bien, vous mentir, moi je n’ose,
Oui, du genêt j’avais revêtu le manteau!

Un sonnet, a-t-on dit, égale un long poème,
Ah! Madame, à nous deux nous l’eussions fait si beau!
Vous avez un sonnet… Et j’ai dit « Je vous aime! »

Q15 – T14 – banv – s sur s

Composer un sonnet, quelle folle entreprise! — 1902 (5)

Edouard d’HervilleLes jours et les nuits

A Cypris

Composer un sonnet, quelle folle entreprise!
C’est vouloir conquérir la fameuse toison
Sans l’aide de Médée et sans être Jason.
Mais, pour plaire à Cypris il faut que je m’épuise.

Elle veut un sonnet: j’ai l’âme trop éprise
Pour ne pas obéir à ce charmant démon.
Je veux glisser mes vers ce soir sous l’édredon;
Ce sera pour ma mie une aimable surprise.

Amour, sois-moi propice et dirige mes pas,
Au milieu du chemin ne m’abandonne pas
Et bientôt je pourrai célébrer ma victoire.

Oui déjà, grâce à toi, j’entrevois le bonheur,
Et, fier de ton appui, je chante ici ta gloire.
– Cypris, je touche au but; toucherai-je ton cœur?

Q15 – T14  s sur s

Un obscur mouvement d’amour et de musique — 1902 (2)

Saint-Georges de Bouhélier Les chants de la vie ardente

Les rythmes

Un obscur mouvement d’amour et de musique
Sort des globes lointains et balance mes vers,
Or bercé par les lois de l’immense univers
Mon poème se scande et vit dans la physique.

Ces mondes dont le rythme à ma voix communique
Ces tourbillons divins et ces accents divers
Prolongeant dans mes chants leur force et leur éclair
Créent en eux un esprit religieux et panique.

Ainsi les stances d’or de mes sonnets égaux
Reproduisent l’élan des sphères dans leur groupe,
Et celui qui les lit ne lit pas que des mots.

Mais, subissant les lois des planètes du ciel,
Dont ces sonnets ont emprunté l’essentiel,
Il voit bondir l’éther au-dessus de leur troupe.

Q15 – T25  – s sur s

Un sonnet, dites-vous; savez-vous bien, Madame, — 1902 (1)

– revue Le Sonnettiste (Louis Le Roy)

Un Sonnet

Un sonnet, dites-vous; savez-vous bien, Madame,
Qu’il me faudra trouver trois rimes à sonnet?
‘Madame’, heureusement, rime avec ‘âme’ et ‘flamme’,
Et le premier quatrain me semble assez complet.

J’entame le second. Le second je l’entame
Et prends en l’entamant un air tout guilleret;
Car ne m’étant encor point servi du mot ‘âme’,
Je compte m’en servir et m’en sers en effet.

Vous m’accorderez bien, maintenant, j’imagine,
Qu’un sonnet sans amour ferait fort triste mine,
Qu’il aurait l’air boiteux, contrefait, mal tourné.

Il nous faut de l’amour, il nous en faut quand même,
J’écris donc en tremblant: je vous aime ou je t’aime,
Et voilà, pour le coup, mon sonnet terminé.

Q8 – T15  – s sur s

Si mes sonnets parfois marchent d’un pas pesant; — 1900 (4)

Arsène VermenouzeEn plein vent

Si mes sonnets parfois marchent d’un pas pesant;
S’ils ont l’accoutrement fruste du pauvre hère,
Qu’il couche, tout vêtu, dans la grange, sur l’aire,
C’est parce qu’ils sont fils d’un barde paysan,

D’un barde et d’un chasseur: je les fais en chassant.
Dans les brousses où le renard a son repaire,
Sur les hauts mamelons où le genêt prospère,
Je vais, baguenaudant, rêvant, rimant, musant.

Cependant mon sonnet prend forme, s’élabore:
Comme un sauvageon, qu’en plein champ on voit éclore.
Il naît, agreste, mais sentant bien le terroir,

Sentant bien l’herbe fraîche et la feuille des hêtres,
Et les fougères que j’emporte dans mes guêtres:
Il est encor tout chaud, quand je l’écris, le soir.

Q15 – T15 – s sur s

Quoiqu’en disent certains, j’adore le sonnet; — 1899 (3)

Paul RomillyMuse & Musette

Le sonnet

Quoiqu’en disent certains, j’adore le sonnet;
Je me laisse bercer à son rythme qui chante,
Que sa note résonne ironique ou touchante,
Nocturne rossignol ou joyeux sansonnet;

Et, comme quelquefois de l’air la chanson naît,
Il advient, écartant une rime méchante,
Que l’on fasse, d’un mot à tournure approchante,
Jaillir un sens nouveau qu’à peine on soupçonnait.

D’ailleurs, c’est à mes yeux l’habit qui fait le moine:
Un blanc dominicain plaît mieux qu’un gras chanoine;
Le flacon ciselé fait goûter la liqueur.

Enfin, sonnet galant, en ta forme que j’aime,
N’es-tu pas, mousquetaire, élégant et vainqueur,
Même avec des défauts, moins long qu’un court poème?

Q15 – T14 – banv – s sur s