Archives de catégorie : Formule de rimes

Pourquoi livrer ces vers, baignés de tant de larmes, — 1843 (27)

Alphonse Le Flaguais Marcel

Pourquoi livrer ces vers …. ?

Pourquoi livrer ces vers, baignés de tant de larmes,
Au monde qui ne veut qu’égayer ses loisirs ?
Pourquoi lui confier ces intimes alarmes ? …
Il aime les chansons et se rit des soupirs.

Ces accents d’un amour plein de deuil et de charmes,
Se perdront sous le ciel comme de vains désirs.
Notre siècle moqueur a de cruelles armes
Contre l’infortuné qui trouble ses plaisirs.

Mais un besoin puissant trouble l’âme trop pleine
D’épancher ses secrets, de raconter sa peine,
Et sitôt qu’on se plaint on se croit soulagé !

Je redis mon bonheur, mon beau songe rapide ;
J’aimais, …. un tel amour, malgré la tombe avide
Reste le même encor lorsque tout a changé.

Q8  T15

Au sein de la cité bourbeuse, tristes murs, — 1843 (26)

Alexandre Cosnard Tumulus

A mon ami Prosper Doyen – sonnet

Au sein de la cité bourbeuse, tristes murs,
Où vont se dégorger tous les égouts du globe ;
Où celui qui blasphème et celui qui dérobe
Surabondent de joie en leurs ébats impurs :

Jeune homme, qui, marchant à pas fermes et purs
Parmi tout ce limon sans souiller votre robe
Avez gardé la foi, jeune homme ardent et probe
Qui passez votre vie en dévouements obscurs,

Quand je vous vois souffrir du corps, souffrir de l’âme,
Parfois contre le ciel je pousse un cri de blâme,
Puis je dis : « Celui-là souffre pour nos péchés !

Et c’est sans doute l’un de ces justes cachés,
Dont la sainte présence ici nous sauve encore
Et fait hésiter Dieu prêt à brûler Gomorrhe »

Q15  T13  bi

Toujours en te lisant j’ai cru sentir, Poète, — 1843 (25)

Philippe Busoni Etrusques

Sonnet sur Dante

Toujours en te lisant j’ai cru sentir, Poète,
Comme un être charnel frissonne sous ton vers ;
Il souffre, à ses sanglots répondent les enfers ;
Il aime, et ses soupirs un ange les répète.

C’est le cri du damné, c’est le chant du Prophète,
C’est l’homme-Dieu mourant ; à ses pieds l’univers
En proie aux passions, gouffres toujours ouverts,
Et le ciel qui rayonne et splendit* sur sa tête.

C’est la lyre et le glaive, oui la lyre d’airain
Et le glaive sacré de la théologie
Qui brillent dans ta main vengeresse et rougie.

Béatrice est l’esprit, le Virgile serein
La forme, ainsi tu vas dans ta grande Elégie
Et l’homme effrayé pense au juge souverain.

Q15  T28 * un ‘disparu du Littré’ (HN°: avoir de la splendeur. « Elle voyait grandir et splendir à mesure / Du céleste captif la touchante figure / (Lamartine – La chute d’un ange)

Mesdames et Messieurs, oh ! vous ne savez pas — 1843 (24)

Louis de Léon La tragédie du monde

Sonnet

Mesdames et Messieurs, oh ! vous ne savez pas
Ce que c’est pour son art que l’ardeur du poète,
C’est un marteau d’horloge à grands coups dans la tête,
Qui vous bat le tympan et fait un grand fracas.

Quelque chose dans l’air dont la voix inquiète,
Qui saute sur l’esprit, qui le prend par le bras,
Et le faisant marcher, lui dit dès qu’il s’arrête :
Réveille-toi bien vite, oiseau, tu chanteras.

C’est ce qui de nouveau va m’armer de la plume,
Et puis j’avais promis de vous faire un volume.
Un vice inaperçu tout à coup m’apparaît.

Groom, mon papier vélin, mes lunettes, de l’encre.
C’est bien, – donc à la voile, et levons vite l’ancre,
On ne vogue que mieux après un temps d’arrêt.

Q17  T15

La machine frémit en cavale essoufflée ; — 1843 (23)

Auguste Argonne (in vers)

Le chemin de fer
A Auguste Barbier

La machine frémit en cavale essoufflée ;
Elle crie, elle siffle, et s’ébranle en avant;
Elle vomit le feu ; par la plaine rêvant,
Se porte, ou sous un roc prend une sombre allée.

Tout-à-tour sur un pic ou dans une vallée,
On dirait un vaisseau qui suit le flot mouvant ;
Et l’on voit fuir, ainsi que sous l’aile du vent,
Maisons, fleuves, forêts et campagne envolée.

L’orgueilleux créateur, regardant se mouvoir,
Son œuvre, ne sait plus où finit son pouvoir
Et d’un nom immortel en souriant le nomme.

Il ceindra l’univers d’un fer audacieux,
La fumée emplira la nature et les cieux,
Et l’homme désormais ne connaîtra que l’homme.

Q15  T15

Comme un torrent qui bat sa berge, — 1843 (22)

Ernest Prarond in Vers

Sonnet à Charles Baudelaire

Comme un torrent qui bat sa berge,
Le vent contre le ciel tonnait,
Et, sous le signe de la Vierge,
Tournoi de foudre se donnait.

L’éclair jouait de la flamberge,
La charge dans les airs sonnait,
Et sur une table d’auberge
Je vous écrivis ce sonnet.

Fier comme un bâtard des vieux reitres,
Un braconnier séchait ses guêtres,
Et fumait d’un air fanfaron !

Et tout, la fille comme l’hôte
Me rappelait presque sans faute
Le vieux style du vieux Scarron.

Q8  T15  octo

Je veux pour ma chérie — 1843 (21)

Théophile Gersant Première gerbe

Sonnet

Je veux pour ma chérie
Un diadème d’or,
De velours, de soîrie,
Pour cacher mon trésor.

Sur sa tête jolie,
Je veux un voile encor,
Qui serpente, et se plie
Autour de son beau corps …

Non, je ne veux de voile,
Qui cache mon étoile,
En lui cachant les yeux ;

Je ne veux de ces choses,
Qu’un sourire et des roses
Qui la pareront mieux.

Q8  T15  6syll.  La rime ‘encor/corps’ est incorrecte

Mère …. il est un enfant à la pensée austère — 1843 (20)

– Marie-Laure Grouard Les églantines

A la ville de Paris

Mère …. il est un enfant à la pensée austère
Qui naquit dans tes murs, quitta le sol natal,
Et, cachant son chagrin dans son cœur virginal,
S’en fut grandir au loin, sur quelque coin de terre.

On devinait en elle un douloureux mystère,
Mais nul ne put savoir le secret de son mal.
Alors, sans plus fouiller dans son passé fatal
Le monde lui donna pour nom : la solitaire.
Car jamais un ami n’accompagnait ses pas…
Le front baissé, toujours on la voyait, hélas !
Seulle dans le vallon, seule dans la campagne,

Pourtant, si quelque jour elle venait vers toi,
Ne la repousse point, car cet enfant, c’est moi,
Mère … et, pour toi, bientôt je fuirai la montagne.

Q15  T15  disp 4+3+4+3 (mais la succession des rimes est habituelle)

Pour bâtir aujourd’hui, l’art de l’architecture — 1843 (19)

– Moyse Alcan à Pierre Perrat

Sonnet

Pour bâtir aujourd’hui, l’art de l’architecture
N’a plus que le compas, la pierre et le ciment.
Des œuvres d’autrefois éternel élément,
La croyance a fait place à la science impure.

Vos noms, divins auteurs d’un pieux monument,
Sont jetés par l’oubli dans une nuit obscure ;
Sous les sombres piliers l’oiseau seul les murmure,
Et le vent les redit comme un gémissement.

Mais que t’importe à toi notre mortelle gloire !
Perrat*, qu’as-tu besoin des pages de l’histoire,
Toi qui sus abriter le juste & le pécheur.

De prière et d’encens cette nef embaumée
Ne nous dit-elle pas mieux que la renommée :
Heureux qui construisit la maison du Seigneur !

* Architecte de la Cathédrale de Metz

Q16  T15

Ce doux bouquet mouillé qui s’effeuille à nos yeux, — 1843 (18)

Marie-Mennessier Nodier in Alfred de Musset oeuvres poétiques

Au même

Ce doux bouquet mouillé qui s’effeuille à nos yeux,
Et que jamais la main n’a pu reprendre ou suivre,
Ne le regrettons pas ! j’ai lu dans un vieux livre
Que son nœud détaché voulait parler d’adieux.

Du foyer paternel, vous, l’esprit radieux,
Dans l’ardente mêlée où le triomphe enivre,
Vous vous souvenez donc qu’en essayant de vivre
Ensemble nous étions partis d’un vol joyeux ?

Nous avons traversé la merveilleuse plaine
Où la fleur du jeune âge, amicale, et sereine
Dit : « la vie est charmante et l’avenir bêni »

Puis je vous vis monter quand je perdis haleine.
A la cime des monts votre âme souveraine
Allait cherche son aire, et je gardais mon nid.

Q15  T6  v.12 et 14 : rime incorrecte