Archives de catégorie : Formule de rimes

On va criant partout – écho d’un fait lointain – — 1885 (6)

Ernest d’HervillyLes bêtes à Paris – 36 sonnets –

L’ours

On va criant partout – écho d’un fait lointain –
Que tu cueilles, toujours, pour ton lunch, ô Martin,
La fleur de nos lignards, sans regarder au grade;
Pour moi, je ne crois pas cela, cher plantigrade!

J’accorde que parfois tu ronges – triste mets,
Un parapluie ancien chû dans la fosse, mais
(Bonnes, dites-le haut) quand tu te désaltères,
Ce n’est pas dans le sang des galants militaires.

Non! – sous l’oeil des moineaux, gros bonhomme sans fiel,
L’ours mange du pain bis, et, comme Ezéchiel,
Il le trouve souvent couvert, mais non de miel.

Sous son poil à bonnets son coeur n’est pas de marbre;
L’enfance l’attendrit et, point essentiel,
Quand Bébé lui dit « Monte à l’arbre? » il monte à l’arbre!

Q55 – T3

Pourquoi, dans ces bassins que le gouvernement — 1885 (5)

Ernest d’HervillyLes bêtes à Paris – 36 sonnets –

Les cygnes

Pourquoi, dans ces bassins que le gouvernement
Fait toujours en été vider complêtement,
L’autorité met-elle avec acharnement
Un cygne?

Serait-ce pour permettre au poète rêveur
De l’égorger, afin d’ouïr plein de ferveur
Son chant suprême? Alors, mais c’est une faveur
Insigne?

Doit-il nous rappeler que Jupiter jadis
Trouva bon d’endosser un plumage de lys,
Pour se montrer sur l’eau, comme sur terre, ingambe?

Non, c’est pour qu’un papa rabâche à ses enfants
Qui le répèteront aux leurs, tout triomphants:
« D’un coup d’aile, ça peut vous casser une jambe! ».

aaab a’a’a’b – T14 – 2m (2s: v.4, v.8 )

Car tout est bon en toi: chair, graisse, muscle, tripe! — 1885 (4)

(Alfred Delvau) – Les Sonneurs de Sonnets

Sonnet du cochon

Car tout est bon en toi: chair, graisse, muscle, tripe!
On t’aime galantine, on t’adore boudin.
Ton pied, dont une sainte a consacré le type,
Empruntant son arome au sol périgourdin,

Aurait réconcilié Socrate avec Xantippe.
Son filet, qu’embellit le cornichon badin,
Fournit le déjeuner de l’humble citadin,
Et tu passes avant l’oie au frère Philippe.

Mérites précieux et de tous reconnus!
Morceaux marqués d’avance, innombrables, charnus!
Philosophe indolent, qui mange et que l’on mange!

Comme, dans notre orgueil, nous sommes bien venus
A vouloir, n’est-ce pas, te reprocher ta fange?
Adorable cochon! animal-roi! – cher ange!

Charles Monselet

Q9 – T8

Aimer, c’est vivre un jour, mais un seul: puis mourir. — 1885 (3)

– (Alfred Delvau) – Les Sonneurs de Sonnets – 1540-1866 –

Aimer, c’est vivre un jour, mais un seul: puis mourir.
Combien d’un premier deuil l’absence se désole!
à des lettres pourtant l’on pourra recourir:
le papier confident, c’est presque la parole!

Et puis, ressource vaine ou promesse frivole,
bientôt on s’écrit moins. Ne vient-il pas s’offrir
maint obstacle à laisser l’occasion fléchir?
Puis Elle n’écrit plus: la tristesse s’envole.

O mobilité d’âme où le monde est soumis!
ceux qu’on a tant aimés cherchent d’autres amis.
Pour le premier jaloux quelle sombre amertume!

Puis à lui-même, un jour, arrive pas à pas
l’oubli. Sommeil du coeur vous êtes le trépas!
Le coeur est une terre où tout mort se consume.
A. Delatouche

Q10 – T15 –  » J’ai respecté cette manie de Delatouche qui consiste à ne mettre en capitales au commencement de chaque vers que lorsqu’il y avait lieu, c’est à dire lorsque le vers précédent finissait par un point. Mais c’est une manie bien agaçante pour le lecteur. Les vers sont des vers, que diable! ce n’est pas de la prose. « 

Quand nous aurons, avec de bleus recueillements, — 1885 (1)

Henri Beauclair et Gabriel VicaireLes déliquescences d’Adoré Floupette

Sonnet libertin
 » Avec l’assentiment des grands héliotropes » Rimbaud

Quand nous aurons, avec de bleus recueillements,
Pleuré de ce qui chante et ri de ce qui souffre,
Quand, du pied repoussé, rouleront dans le Gouffre,
Irrités et pervers, les Troubles incléments;

Que faire? On doit laisser aux stupides amants
Les Balancements clairs de ces Effervescences;
Nous languirons emmi les idoines essences,
Evoquant la Roseur des futurs errements.

Je mettrai dans l’or de tes prunelles blêmies
L’Inassouvissement des philtres de Cipris .
– Les roses de ton sein, qu’elles vont m’être amies! –

Et, comme au temps où triomphait le grand Vestris,
Très dolents, nous ferons d’exquises infamies,
– Avec l’assentiment de ton Callybistris –

Q45 – T20

Cueillant les nénuphards d’or jaune et les muguets, — 1884 (21)

Laurent Tailhade
Bagnères-Thermal

Prélude

Cueillant les nénuphards d’or jaune et les muguets,
J’ai conduit ma douleur morose au fil des berges,
Parmi les amoureux quelconques et très gais
Qui grouillent sur le seuil friturier des auberges.

Photographes rêvant aux anciens Uruguais,
Canoteurs insultant la majesté des fleuves,
S’ébattant avec des cris fous de papegais
A travers des sérails de modistes peu neuves.

Ils sont très gais, sachant que, demain, ils pourront
A l’ombre des comptoirs rasséréner leur front
Sous les yeux paternels, ô Durand, qui les guettes.

Leur joie obtuse endort ma peine et, quand le soir
Monte dans l’azur clair, près d’eux je viens m’asseoir
Et mange du lapin aux bosquets des guinguettes.

Q32 – T15

Dans le bar où – jamais – le parfum des brevas — 1884 (20)

Laurent Tailhade

Lutèce

Buvetière

Dans le bar où – jamais – le parfum des brevas
Ne dissipa l’odeur de vomi qui la navre,
Triomphent les appâts de la Mère Cadavre
Dont le nom est fameux jusque chez les hôvas.

Brune, elle triompha jadis entre les brunes,
Tant que son souvenir au Waux-hall est resté!
Et c’est toujours avec beaucoup de dignité
Qu’elle rince le zinc ou détaille les prunes.

Et c’est pourquoi son cabaret s’emplit le soir,
De futurs avoués tout heureux de surseoir
Quelque temps à l’étude inepte des digestes.

Encor qu’ils soient gavés de Beaune ou de Corton,
Elle les dompte et sait arrêter dans leurs gestes
Ce qui n’est pas conforme aux règles du bon ton.

Q63 – T14

Toi dont les yeux erraient, altérés de lumière, — 1884 (19)

Leconte de Lisle Poèmes tragiques

A un poète mort

Toi dont les yeux erraient, altérés de lumière,
De la couleur divine au contour immortel
Et de la chair vivante à la splendeur du ciel,
Dors en paix dans la nuit qui scelle ta paupière.

Boire, entendre, sentir? Vent, fumée et poussière.
Aimer? La coupe d’or ne contient que du fiel.
Comme un Dieu plein  d’ennui qui déserte l’autel,
Rentre et disperse-toi dans l’immense matière.

Sur ton muet sépulcre et tes os consumés
Qu’un autre verse ou non les pleurs accoutumés,
Que ton siècle banal t’oublie ou te renomme;

Moi, je t’envie, au fond du tombeau calme et noir,
D’être affranchi de vivre et de ne plus savoir
La honte de penser et l’horreur d’être un homme!

Q15 – T15

Quand je le contemplai, de l’Acteur gigantesque, — 1884 (18)

Le Chat Noir

Jules Jouy

X
Fréderick- Lemaître

Quand je le contemplai, de l’Acteur gigantesque,
De l’Artiste, protée énorme et sans rivaux,
Au génie acclamé par d’illustres bravos,
Il restait un vieillard, par l’âge brisé presque.

Parfois, pourtant, fouillant son front michélangesque,
Cet Hercule affaissé, las des anciens travaux,
Trouvait, pour le graver en nos jeunes cerveaux,
Un geste inimitable: immense et pittoresque.

Rien n’était merveilleux, étrange, saisissant
Comme ce beau lutteur torturé, s’efforçant
De rompre, des vieux ans, le lourd carcan de glace.

Et j’assistais, songeant aux triomphes d’antan,
Blême, l’horreur sacrée empreinte sur la face,
A cet écroulement superbe d’un Titan.

Q15 – T14 – banv

Rien qu’à voir la pâleur de son masque fatal — 1884 (17)

Le Chat Noir

Jules Jouy

IX
Taillade

Rien qu’à voir la pâleur de son masque fatal
Où, profond comme un trou, s’enfonce son oeil cave,
L’on devine aisément l’effrayant Idéal
Au triomphe duquel il s’attelle en esclave.

Les drames de Shakespeare et leurs accents altiers
Conviennent à son jeu, libre de toute entrave,
Et leurs profils, en lui, revivent tout entiers.
Son geste singulier, très profondément, grave

Au cerveau du public un vivant souvenir:
Hamlet ou Richard Trois, Macbeth ou le roi Lear,
Il est le maître, en ces farouches personnages,

Lorsque son poing nerveux sur eux s’est affermi,
Et, talent plein d’éclairs, mais aussi de nuages
Il n’est jamais médiocre ou superbe à demi.

Q38 – T14