Archives de catégorie : Q15 – abba abba

Poête, dans les cœurs mettre un écho sonore, — 1844 (8)

Ch.Louis Mollevault La langue française

Ambition, sonnet

Poête, dans les cœurs mettre un écho sonore,
Remuer une foule avec ses passions.
Écrire sur l’airain ses moindres actions,
Faire luire son nom sur tous ceux qu’on adore;

Courir en quatre pas du couchant à l’aurore,
Avoir un peuple fait de trente nations,
Voir la terre manquer à ses ambitions,
Être Napoléon, être plus grand encore!

Que sais-je ? être Shakspeare, être Dante, être Dieu!
Quand on est tout cela, tout cela, c’est bien peu
Le monde est plein de vous, le vide est dans votre âme.

Mais qui donc comblera l’abime de ton cœur?
Que veux-tu qu’on y jette, ô poëte, ô vainqueur?
Un mot d’amour tombé d’une bouche de femme !

Q15  T15

Nous nous battons les flancs et toi tu te reposes ; — 1844 (6)

Pierre Dupont Les deux anges

A mon ami Théodore de Banville

Nous nous battons les flancs et toi tu te reposes ;
Nous t’accusons tout bas : n’aurais-tu pas raison ?
Les lueurs sont encor vagues à l’horizon ;
On n’a pas de fruits mûrs, ni de moissons écloses.

Nous sommes condamnés à célébrer les roses,
Le retour, le déclin de la belle saison:
L’hiver nous fait rentrer des champs à la maison
Où nous perdons nos vers à de petites choses.

Tu rêves cependant. Ta muse attend le jour
Où ceux de notre temps seront grands à leur tour,
L’heure lente à venir des futures mêlées

Que nos aiglons d’hier soient des aigles demain,
Je laisserai tomber la plume de la main
Pour applaudir au vol de tes strophes ailées.

Q15  T15

Au sein de la cité bourbeuse, tristes murs, — 1843 (26)

Alexandre Cosnard Tumulus

A mon ami Prosper Doyen – sonnet

Au sein de la cité bourbeuse, tristes murs,
Où vont se dégorger tous les égouts du globe ;
Où celui qui blasphème et celui qui dérobe
Surabondent de joie en leurs ébats impurs :

Jeune homme, qui, marchant à pas fermes et purs
Parmi tout ce limon sans souiller votre robe
Avez gardé la foi, jeune homme ardent et probe
Qui passez votre vie en dévouements obscurs,

Quand je vous vois souffrir du corps, souffrir de l’âme,
Parfois contre le ciel je pousse un cri de blâme,
Puis je dis : « Celui-là souffre pour nos péchés !

Et c’est sans doute l’un de ces justes cachés,
Dont la sainte présence ici nous sauve encore
Et fait hésiter Dieu prêt à brûler Gomorrhe »

Q15  T13  bi

Toujours en te lisant j’ai cru sentir, Poète, — 1843 (25)

Philippe Busoni Etrusques

Sonnet sur Dante

Toujours en te lisant j’ai cru sentir, Poète,
Comme un être charnel frissonne sous ton vers ;
Il souffre, à ses sanglots répondent les enfers ;
Il aime, et ses soupirs un ange les répète.

C’est le cri du damné, c’est le chant du Prophète,
C’est l’homme-Dieu mourant ; à ses pieds l’univers
En proie aux passions, gouffres toujours ouverts,
Et le ciel qui rayonne et splendit* sur sa tête.

C’est la lyre et le glaive, oui la lyre d’airain
Et le glaive sacré de la théologie
Qui brillent dans ta main vengeresse et rougie.

Béatrice est l’esprit, le Virgile serein
La forme, ainsi tu vas dans ta grande Elégie
Et l’homme effrayé pense au juge souverain.

Q15  T28 * un ‘disparu du Littré’ (HN°: avoir de la splendeur. « Elle voyait grandir et splendir à mesure / Du céleste captif la touchante figure / (Lamartine – La chute d’un ange)

La machine frémit en cavale essoufflée ; — 1843 (23)

Auguste Argonne (in vers)

Le chemin de fer
A Auguste Barbier

La machine frémit en cavale essoufflée ;
Elle crie, elle siffle, et s’ébranle en avant;
Elle vomit le feu ; par la plaine rêvant,
Se porte, ou sous un roc prend une sombre allée.

Tout-à-tour sur un pic ou dans une vallée,
On dirait un vaisseau qui suit le flot mouvant ;
Et l’on voit fuir, ainsi que sous l’aile du vent,
Maisons, fleuves, forêts et campagne envolée.

L’orgueilleux créateur, regardant se mouvoir,
Son œuvre, ne sait plus où finit son pouvoir
Et d’un nom immortel en souriant le nomme.

Il ceindra l’univers d’un fer audacieux,
La fumée emplira la nature et les cieux,
Et l’homme désormais ne connaîtra que l’homme.

Q15  T15

Mère …. il est un enfant à la pensée austère — 1843 (20)

– Marie-Laure Grouard Les églantines

A la ville de Paris

Mère …. il est un enfant à la pensée austère
Qui naquit dans tes murs, quitta le sol natal,
Et, cachant son chagrin dans son cœur virginal,
S’en fut grandir au loin, sur quelque coin de terre.

On devinait en elle un douloureux mystère,
Mais nul ne put savoir le secret de son mal.
Alors, sans plus fouiller dans son passé fatal
Le monde lui donna pour nom : la solitaire.
Car jamais un ami n’accompagnait ses pas…
Le front baissé, toujours on la voyait, hélas !
Seulle dans le vallon, seule dans la campagne,

Pourtant, si quelque jour elle venait vers toi,
Ne la repousse point, car cet enfant, c’est moi,
Mère … et, pour toi, bientôt je fuirai la montagne.

Q15  T15  disp 4+3+4+3 (mais la succession des rimes est habituelle)

Ce doux bouquet mouillé qui s’effeuille à nos yeux, — 1843 (18)

Marie-Mennessier Nodier in Alfred de Musset oeuvres poétiques

Au même

Ce doux bouquet mouillé qui s’effeuille à nos yeux,
Et que jamais la main n’a pu reprendre ou suivre,
Ne le regrettons pas ! j’ai lu dans un vieux livre
Que son nœud détaché voulait parler d’adieux.

Du foyer paternel, vous, l’esprit radieux,
Dans l’ardente mêlée où le triomphe enivre,
Vous vous souvenez donc qu’en essayant de vivre
Ensemble nous étions partis d’un vol joyeux ?

Nous avons traversé la merveilleuse plaine
Où la fleur du jeune âge, amicale, et sereine
Dit : « la vie est charmante et l’avenir bêni »

Puis je vous vis monter quand je perdis haleine.
A la cime des monts votre âme souveraine
Allait cherche son aire, et je gardais mon nid.

Q15  T6  v.12 et 14 : rime incorrecte

La fleur de la jeunesse est-elle refleurie — 1843 (16)

Marie-Mennessier Nodier in Alfred de Musset  oeuvres poétiques

A Alfred de Musset

La fleur de la jeunesse est-elle refleurie
Sous les rayons dorés du soleil d’autrefois ?
Mon beau passé perdu connait-il votre voix,
Et vient-il, l’étourdi, railler ma rêverie ?

Par la chute des jours mon âme endolorie
A laissé ses chansons aux épines des bois.
Du fardeau maternel j’ai soulevé le poids,
J’ai vêcu, j’ai souffert, et je me suis guérie.

Hélas ! qu’il est donc loin le printemps écoulé !
Que d’étés ont séché son vert gazon foulé !
Que de rudes hivers ont refroidi sa sève ;

Mais de votre amitié le doux germe envolé
A retrouvé sa place, et mon cœur consolé
En recueille les fleurs au chemin qui s’achève.

Q15  T6  réponse au sonnet précédent

Je vous ai vue enfant, maintenant quand j’y pense, — 1843 (15)

Alfred de Musset in ed. pléiade des Œuvres poétiques

A Marie-Mennessier-Nodier

Je vous ai vue enfant, maintenant quand j’y pense,
Fraiche comme une rose et le cœur dans les yeux,
« Je vous ai vu bambin, boudeur et paresseux ;
Vous aimiez Lord Byron, les grands vers et la danse »

Ainsi me revenaient les jours de notre enfance,
Et nous parlions déjà le langage des vieux ;
Ce jeune souvenir riait entre nous deux,
Léger comme un écho, gai comme l’espérance.

Le lâche craint le temps parce qu’il fait mourir ;
Il croît son mur gâté lorqu’une fleur y pousse.
O voyageur ami, père du souvenir,

C’est ta main consolante, et si sage, et si douce,
Qui conserve à jamais un pas fait sur la mousse,
Le hochet d’un enfant, un regard, un soupir.

Q15  T21

Maître, malgrè les cris, poursuis ta longue route. — 1843 (14)

Francis Girault in  Balzac : Lettres à l’étrangère

Maître, malgré les cris, poursuis ta longue route.
Va, grandissait toujours, sans crainte ni souci.
De tes conceptions le cercle, Dieu merci,
Est loin d’être épuisé : tu sais ce qu’il en coûte

Ah ! tout puissant esprit qui force qu’on l’écoute !
L’envieux journaliste, au cerveau rétréci,
Ne te pardonne pas de l’avoir peint : aussi
Déverse-t-il sur toi sa haine goutte à goutte.

Qu’il siffle ou qu’il aboie, et que t’importe-t-il ?
Dessine sans broncher le multiple profil
De ce siècle inouï ; maître ; c’est là ton œuvre.

Qui peut fermer la bouche aux petits détracteurs ?
Reste donc au sommet. La rampante couleuvre
Ne s’élève jamais à de telles hauteurs.

Q15  T14