Archives de catégorie : Tercets

De l’antique Sonnet les grâces surannées — 1822 (1)

Comte François de Neufchateau in L’Album, Journal des arts, des modes et des théâtres

Sonnet

Sur le genre du Sonnet même

De l’antique Sonnet les grâces surannées
L’ont presque fait bannir du Parnasse français
Les ballades aussi semblent abandonnées,
Et le Rondeau, lui seul, trouve encor quelque accés.

Hélas, je vis jadis, dans mes tendres années,
Le Sonnet plus en vogue, et j’y réussissais.
Des Bouts-Rimés gênants remplir les lois données
Ne fut qu’un jeu pour moi dans mes premiers essais.

Osè-je y revenir? c’est une rude tâche!
Mais voilà deux Quatrains: allons! point de relâche;
Ajoutons deux Tercets, et ce sera fini.

Contre un peu d’amour-propre on n’a point de défense:
Voyez! pour un Sonnet, je me crois rajeuni,
Ou pour dire encor mieux, je retombe en enfance.

Q8 – T14 – s.sur.s

Le thème est indiqué dans le titre. Il commence par les plaintes habituelles sur la décadence de la forme; puis se transforme, dans les tercets, pour rejoindre la variante traditionnelle du sonnet en train de s’écrire. L’histoire de cette variété curieuse de l’espèce sonnet est encore à faire. Je n’en connais pas d’italien; le premier recensé est espagnol, du milieu du seizième siècle (Diego Hurtado de Mendoza); il est passé ensuite en France, dans l’école de Voiture. La Fontaine en a transposé le principe à la ballade. (Le sonnet sur le sonnet du protestant Pierre Poupo (1590) n’appartient pas à la même sous-espèce, étant un poème sur l’art du sonnet).

Les miracles du Christ ont étonné Solyme, — 1821 (2)

Pierre Lamontagnede Lançon –  Sur le pardon que Monseigneur le Duc de Berry, en mourant, a accordé à son assassin

Sonnet

Les miracles du Christ ont étonné Solyme,
Et la Nature en lui voyait son Souverain;
Mais ses imitateurs, que son esprit anime,
Montrent de son pouvoir un effet plus certain.

Est-ce toi que j’entends, ô Royale victime!
Priant pour un coupable en mourant de sa main?
Tu veux que du cercueil où te plonge son crime,
Ta voix s’élève encor pour sauver l’assassin.

Ton coeur saisi du froid dont le trépas le glace,
Mais brûlant d’un feu pur allumé par la grâce,
Renouvelle les voeux par ta bouche exprimés.

Le chrétien qui pardonne alors qu’on l’assassine,
Fait bien plus reconnaître une vertu divine,
Que le soleil éteint et les morts ranimés.

Q8 – T15

La fille du soleil, sur un char de lumière, — 1821 (1)

Louis Bonnet (aîné) Poésies

La Bergère sur le point d’aimer. Sonnet.

La fille du soleil, sur un char de lumière,
Rougissait de ses feux les portes du matin:
L’étang réfléchissait un ciel pur et serein,
Et la reine des nuits achevait sa carrière:

Abandonnant déjà l’étable hospitalière,
Io des prés connus reprenait le chemin:
Déjà l’agneau paissant le cytise et le thym
Le long des clairs ruisseaux errait sur la bruyère:

Quand j’entendis ces mots  » D’où viennent mes douleurs?
D’où vient qu’au nom d’Hilas je sens naître mes pleurs?
Pourquoi suis-je sans lui triste, sombre et rêveuse?  »

Ainsi sans voir Hilas, ainsi parlait Iris.
« Aime, ma douce amie, et tu seras heureuse »,
Lui répond le berger  caché dans un taillis.

Q15 – T14 – banv

Dans l’ordre naturel de la création, — 1820 (7)

–  Lazare Carnot Opuscules Poétiques

LA RELIGION

Dans l’ordre naturel de la création,
L’homme est par sa raison au faîte du système:
Mais aux dogmes sacrés de la religion,
Il doit de s’élever au-dessus de lui-même.

Des êtres corporels quittant la région,
Son âme reconnait une essence suprême;
Et sentant qu’elle en est une émanation,
Son immortalité ne peut être un problême.

L’espoir en un Dieu juste est d’un peuple moral
Le trésor le plus pur, le lien social,
La consolation et le frein salutaire.

Mais l’hypocrite en fait un tissu de noirceurs,
Le superstitieux, l’objet de ses terreurs,
Le fanatique, un monstre inique et sanguinaire.

Q8 – T15

Quatre sonnets de Lazare Carnot terminent ce ce premier chapitre. (On remarquera, au vers 10 de 7, un bel hémistiche à deux diérèses). Pour l’écolier, autrefois, Carnot était ‘L’Organisateur de la Victoire’, la victoire des armées de la République sur celles des rois de l’Europe coalisée contre elle. Lisant aujourd’hui la passionnante biographie de Nicole et Jean Dhombres, on découvre le savant des Lumières, le mathématicien admirateur de d’Alembert, l’ingénieur, le penseur des canons, l’officier de l’Ancien Régime, le républicain, le conventionnel, le Montagnard, le survivant de Thermidor, du Consulat, le général de l’Empire, le proscrit de Magdebourg. On imagine sa rencontre avec Hegel, (qui n’a pas, hélas, laissé de traces autres que le fait qu’elle a eu lieu), le dialogue non de deux sourds mais de deux têtes pensantes éclairées de lueurs irréductiblement différentes.

On lit ces lignes écrites peu avant sa mort (1822), à l’annonce de la mort de Napoléon.  » J’ai été affecté plus que beaucoup d’autres peut-être par la grande éclipse dont vous me parlez . On ne voit pas sans émotion tomber un colosse. Mais je vous avoue que généralement en politique, les individus sont peu de choses pour moi. Je ne les considère que sous le rapport du bien et du mal qu’ils font à leur pays; et sans parler de ses désastres militaires, peu d’hommes ont exercé une influence plus funeste que Napoléon sur le sort de leur patrie, malgré les moyens prodigieux, un coup d’oeil perçant, un caractère inflexible, une âme forte et quelquefois magnanime.  »

Dans ses courtes dernières années, Il composa puis rassembla divers poèmes publiés en 1820 sous le titre Opuscules Poétiques du Général Carnot.

L’ouvrage contient 26 sonnets.

L’homme probe aime à voir en tout la Providence: — 1820 (6)

Lazare Carnot Opuscules Poétiques

LA PROVIDENCE

L’homme probe aime à voir en tout la Providence:
Il a besoin de croire; elle allège ses maux:
Il y trouve la paix, le prix de ses travaux;
Ses consolations, la vertu, l’espérance.

Tout s’explique à ses yeux par cette intelligence:
Tout n’a-t-il pas son but? Qui fit les cieux si beaux?
Qui régla les saisons? Qui nourrit les oiseaux?
Qui plaça le remords dans notre conscience?

C’est une vérité toute de sentiment:
On l’affaiblit toujours par le raisonnement:
L’esprit le plus borné comprend l’Etre suprême.

Mais malheur au pervers, qui dépeint l’Eternel
Comme un tyran farouche; et du Dieu qu’il blasphème,
Fait un maître perfide, implacable et cruel.

Q15 – T14 – banv

Vous dont je suis formé, corps, substance éthérée, — 1820 (5)

Lazare Carnot Opuscules Poétiques

SONNET SUR L’HOMME

Vous dont je suis formé, corps, substance éthérée,
A demeurer unis quel lien vous astreint?
Hôtes d’un globe errant sous la voute azurée,
Quel est mon origine et le but qu’elle atteint?

Atôme dans l’espace, instant dans la durée,
Molécule qui sent, conçoit, agit, se plaint;
Fleur qui naît, éblouit, tombe décolorée;
Etincelle qui brille, et se meut, et s’éteint.

Tel est l’homme, et son oeil des sciences profondes
A su percer l’abîme: il balance le mondes
Il dompte l’éléphant, il invente les arts.

Mélange de raison, d’orgueil et de tendresse,
L’héroïsme en son coeur s’allie à la faiblesse:
La nature y versa ses dons et ses écarts.

Q8 – T15 – carn

Le spectacle des cieux m’élève et me console, — 1820 (4)

–  Lazare Carnot Opuscules Poétiques

LE SPECTACLE DE LA NATURE

Le spectacle des cieux m’élève et me console,
Il affranchit mon coeur de ces prestiges vains
Dont le fracas du monde éblouit les humains,
Et dégage mes sens d’une pompe frivole.

Que le reste est petit! quelle sublime école,
Pour l’orgueil insensé qui cause nos chagrins!
Que sont des monumens, ouvrages de nos mains,
Ces titres, cet éclat, dont on fait une idole!

Nous vivons un instant dans une éternité;
Nous occupons un point dans une immensité:
Pourquoi tant de soucis sur ce grain de poussière?

O mortels! contemplons l’ordre majestueux,
Suivant lequel sont mus ces globes de lumière:
C’est là que tout est grand et digne de nos voeux.

Q15 – T14 – banv

Un jour m’a donc ravi ma longue indifférence! — 1820 (3)

Charles J. Hubert in L’almanach des Muses

Sonnet

Un jour m’a donc ravi ma longue indifférence!
O paix! ton calme heureux n’est plus fait pour mon coeur.
Laisse-moi, je gémis, j’aime sans espérance;
Mais je préfère encor ma peine à ton bonheur.

Du moins sa douce image enchante ma pensée;
Du moins l’illusion reste pour me charmer.
En rêve je la vois du même trait blessée
Elle soupire, … Ô dieux! Est-ce un tourment d’aimer?

Non, non, que mon amour soit mon bien, soit ma vie;
Par des revers affreux quand mon âme est flétrie,
Amour, songe charmant, console mes douleurs.

Et toi, que j’aime en vain, pardonne ô Natalie!
Si, ne pouvant bannir ton image chérie,
J’oublie, en t’adorant, ma peine et mes malheurs.

Q 59 -T6

Les Grâces, les Amours, les Vertus, les Talens, — 1820 (2)

–  M. Le chevalier Coupé de Saint-Donat in L’almanach des Muses

Les adieux du jeune Paulin

Les Grâces, les Amours, les Vertus, les Talens,
Rien des traits de la Mort, rien ne l’a pu défendre.
Sous sa faulx, la Cruelle, hélas! vient de l’étendre
Comme un arbuste en fleur arraché par les vents.

Tel on dit que le cygne au douloureux accens,
Célèbre son trépas aux rives du Méandre,
Tel au banquet des morts étant près de descendre,
PAULIN, tu modulais ces adieux déchirans:

« Faut-il, si jeune hélas, quitter ma tendre mère! `
Faut-il à dix-sept ans te quitter ô mon père!
Mais, le destin le veut … embrassez votre fils.

ADIEU VOUS DIS!  » Sa main, sur le clavier sonore,
Touche le chant funèbre; et sa voix dit encore:
« Embrassez votre enfant. Je meurs. ADIEU VOUS DIS. »

Q15 – T15

Les derniers mots sont expliqués en note: « A ses derniers moments il voulut exécuter sur le piano une romance dont le refrain est: ADIEU VOUS DIS. »

Toi qui n’étais plus homme avant de te connaître! — 1820 (1)

Sourdon de la Coretterie Poésies

Sonnet à un eunuque

Toi qui n’étais plus homme avant de te connaître!
Qui perdis, en naissant, le flambeau de ton être!
Toi pour qui de l’amour les soins et les soupirs
Sont des jeux inconnus, ainsi que ses désirs!

Au sein des voluptés toi qui conduis ton maître,
Et qui, sans t’émouvoir, témoin de ses plaisirs,
Traînes des jours sevrés de tendres souvenirs!
Gardien de la beauté! Son vil tyran peut-être!

Coeur glacé! Monstre humain dont le funeste sort
Des charmes de l’hymen à jamais te sépare!
Dont la vie est, hélas! l’image de la mort!

Quand j’adore Zulime et qu’un père barbare
Défend que mes destins soient enchaînés aux siens,
Que mes sens ne sont-ils aussi froids que les tiens!

Q3 – T23

L’auteur se révèle être ’employé à la Manufacture Royale de Tabac à Marseille’.