Archives de catégorie : T14 – ccd ede

« Ce pont ne brille point par la grâce friponne — 1953 (3)

Luc EtienneTriptykhon


III – IMPORTANCE DES PONTS SUSPENDUS
Méditation du Maître de Forges devant un pont suspendu

« Ce pont ne brille point par la grâce friponne
Il est plus raide encor qu’un pied de tabouret
Qu’une verge d’évêque ou qu’un long minaret
Sa poignante laideur comme un dard nous harponne

Tout couvert d’un dépôt de suie et de carbone
Il n’a ni la blancheur aimable du furet
Ni la sombre grandeur du fatal couperet
Ni l’alerte gaieté d’un solo de trombone

Mais il est TOUT EN FER, ainsi que l’urinoir
L’obus, le goupillon, le sabre, ou l’entonnoir
Ou le busc du corset de la vieille bigote

Et c’est là l’important!  » d’un geste fourrageur
Le Roi du fer gaiement sort sous sa redingote
Un cigare trop gros pour être un voltigeur

Q15 – T14  bouts-rimés

Notes – I, 9 Cette périphrase modeste ne doit rien à l’abbé Delille
I, 11 il ne s’agit donc pas d’eau bénite
I, 12 La baguette du chef d’orchestre
III, 2 La crosse épiscopale: virga episcopalis .
III, 14 On sait que le cigare est, avec le gibus, l’attribut constant du magnat de l’industrie lourde.

Le Gendarme n’a pas la vénusté friponne — 1953 (2)

Luc EtienneTriptykhon

II – APOLOGIE DE LA GENDARMERIE
Beautés morales et physiques du Gendarme

Le Gendarme n’a pas la vénusté friponne
De la fille de bar sur son grand tabouret
Mais son cœur est plus blanc que le blanc minaret
L’Aiguillon du Devoir sans cesse le harponne

Son œil intelligent a l’éclat du carbone
Son nez est plus subtil que le nez du furet
Grâce à lui nul bandit n’échappe au couperet
Et le son de sa voix semble un mâle trombone

Il garde la Vertu, surveille l’urinoir
Où l’ignoble voyou, tirant son entonnoir
Cherche à jeter le trouble au cœur de la bigote

La Pucelle l’admire et d’un doigt fourrageur
Soulevant prestement son ample redingote
Jette sur sa culotte un regard voltigeur

Q15 – T14  bouts-rimés

Ha! ha! c’est du plaisir que vous voulez, friponne — 1953 (1)

Luc EtienneTriptykhon

 » Avertissement – Il ne s’agit pas ici de poésie, mais de science. Les sonnets qu’on va lire ont pour unique objet de démontrer la proposition suivante.
Théorème: Quatorze rimes absolument quelconques étant données à l’avance dans un ordre déterminé, il est toujours possible d’écrire sur ces rimes un sonnet cohérent, respectant les règles de la métrique et traitant un sujet également donné à l’avance.
Mais à quoi sert cette démonstration? Elle ne sert à rien, et cette inutilité qui en fait la valeur scientifique: la vraie science est désintéressée.
Nous ne sommes pas de ceux qui rompent des lances en faveur de la Liberté de l’Art. Et simplement parce qu’on ne saurait en pareil exercice imposer trop de conditions aux paramètres du problème, nous pensons qu’il est élégant de s’astreindre à traiter le sujet donné, surtout s’il ne s’y prête pas, dans un esprit de discrète obscénité.
C’est du moins ce que nous avons cru devoir faire, dans l’innocence de notre cœur.
Rimes données: friponne, tabouret, minaret, harponne, carbone, furet, couperet, trombone, urinoir, entonnoir, bigote, fourrageur, redingote, voltigeur
Sujets donnés: I le PLAISIR II APOLOGIE DE LA GENDARMERIE III IMPORTANCE DES PONTS SUSPENDUS

I – Le plaisir
Le chef d’orchestre à la fille de bar

Ha! ha! c’est du plaisir que vous voulez, friponne
Veuillez descendre un peu de ce haut tabouret
Afin que mon engin, plus droit qu’un minaret
Tisonnant votre chair, vous fouille et vous harponne

Comme un pic de mineur creuse dans le carbone
Comme dans le terrier se glisse le furet
Ou comme dans la nuque entre le couperet
Ma coulisse entrera dans ton petit trombone

A pleins bords, mon superbe instrument d’urinoir
Saura te déverser, généreux entonnoir
La brûlante liqueur qui fait fuir la bigote

Cependant qu’au tempo du bâton fourrageur
Pour scander ton plaisir, mon pan de redingote
Sur mes fesses battra, papillon voltigeur

Q15 – T14  – banv – bouts-rimés

Comme un vol de gerfauts hors du rocher natal — 1951 (3)

Henri Durup in Gums

Les errants

Comme un vol de gerfauts hors du rocher natal
Fatigués de traîner leurs guêtres dans la plaine
De la place Maubert, Gumiers une soixantaine
Partaient ivres de raids héroïques et fatals

Ils allaient conquérir le farouche animal
Que Caucasse nourrit sur ses cimes hautaines
Et les dahus fuyaient de leur marche incertaine
Aux flancs mystérieux du monde occidental

Chaque soir attendant la bête satanique
Le voile opalescent de la Lune ironique
Enchantait leur sommeil d’un mirage doré

Et ponctuant un schuss d’une chute cruelle
Ils regardaient monter dans un ciel ignoré
Du fond de la poudreuse des étoiles nouvelles. »

Q15  T14  pastiche Alexandrins bien incertains

Rappelle-toi les longs métros sous le ciel gris — 1950 (3)

Henri Thomas Nul désordre

Hammersmith, hiver

Rappelle-toi les longs métros sous le ciel gris
Vers Ealing, et Soho dérisoire et magique,
(Notre beau chat, qu’est-il devenu? Famélique,
Il doit roder là-bas dans les jardins transis).

Le brouillard éclairé par la fenêtre basse,
La cendre amoncelée à la fin des veillées …
Il me semble, ce soir, que nos fantômes passent
Là-bas, en ce moment, dans la rue embrumée.

Ils parlent de la vie à venir, de l’été,
De la mer; le brouillard est semé de clartés;
Je suis heureux d’avoir ton bras contre le mien.

Ce roulement profond, c’est Londres dans la nuit.
Descendons les quelques marches – tu te souviens?
– Voici déjà bientôt dix ans qu’ils sont partis.

Q62 – T14

A Douvres les douaniers ne m’ont pas cherché noise, — 1950 (2)

Henri Thomas Nul désordre

Victoria

A Douvres les douaniers ne m’ont pas cherché noise,
Je suis monté dans un compartiment désert
(Ce Grec enfin lâché) du train qui roule vers
Londres. Fumons en paix la dernière Gauloise.

Celui qui reste pur, attentif, énergique,
D’une ville à venir sera le géomètre,
Elle vient, la voici, c’est la cité de briques
Eparse dans le noir pendant vingt kilomètres.

Gares disparaissant avant d’avoir un nom,
Visages éclairés par des feux de charbon,
Entrepôts interminables en contrebas,

Un bus! Il m’a peut-être garé l’an dernier;
Des éclairages verts. Voici mon ici-bas,
Spiritualisons-le, quartier par quartier.

Q62- T14

Ma petite chérie est en tous points exquise. — 1947 (10)

Raoul Ponchon La Muse gaillarde

Sonnet de la petite chérie

Ma petite chérie est en tous points exquise.
Je n’imagine rien qui puisse en approcher.
Sa bouche, en s’y posant, ferait vivre un rocher,
Ses yeux dégèleraient la plus âpre banquise.

Elle parle, et voilà l’humanité conquise …
Mais ce n’est rien encore, il faut la voir marcher.
Elle marche, et la Grâce alors va se coucher;
Qu’elle aille se coucher, ou s’asseoir, à sa guise!

Le galbe de son corps, ai-je besoin, Messieurs,
De vous dire qu’il n’est rien d’autre, sous les cieux,
Qu’à Venus elle-même elle en pourrait revendre? …

Enfin, je ne sais pas, ô mes lecteurs dévots,
Si je me fais ici suffisamment comprendre:
Auprès d’Elle toutes les femmes sont des veaux.

Q15 – T14 – banv

Un châle méchamment qui lèse la frileuse — 1947 (6)

André Breton in Jean Paulhan, Dominique Aury – Poètes d’aujourd’hui

L’an suave

Un châle méchamment qui lèse la frileuse
Epaule nous condamne aux redites. Berger
Tu me deviens l’à peine accessible fileuse.
(A l’ordinaire jeu ce délice étranger)

Qu’aimablement la main dissipe tout léger
Nuage vers ce front où la mèche boucleuse
N’aspire, avec les brins de paille, qu’au danger
De lune! Ai-je omis la nymphe miraculeuse;

Icare aux buissons neigeuse, tu sais, parmi
Les douces flèches (l’an suave quel ami!)
Et, criblé de chansons par Echo, le silence

Que déjà ton souhait de plumes, n’oscillant
Pour se moquer de grèbe en paradis, s’élance
(Ah! quel ami c’est l’an suave!) au toquet blanc?

Q11 – T14

Céleste Ki-Tan-Fô, délivre de la cangue — 1947 (3)

Claude VidalLe cheval double

…. Jose-Maria de Heredia
L’offrande chinoise

Céleste Ki-Tan-Fô, délivre de la cangue
Le très indigne Pouh, fils de Rhâ, fils de Lin,
Et prends ce vase ouvré dans le pur kaolin.
Il est entre mes mains comme l’or dans la gangue.

Du céladon fleuri coule un reflet exsangue
Sur le flanc translucide à l’émail opalin,
Et le Dragon de sang au mufle de carlin
Y déroule sa croupe et fait saillir sa langue.

J’ai sculpté dans le cèdre un socle précieux.
Du langage Kou-Wen que préfèrent les Dieux
J’ai peint sur ses côtés les sacrés caractères.

Vois, j’accroche un lampion bleu pâle à chaque bout
Du triple toit cambré surplombant de ses ptères
Ta pagode laquée aux lattes de bambou.

Q15 – T14 – banv

Les barrages rompus, l’esprit combla l’espace — 1946 (4)

André Rolland de Rèneville La nuit l’esprit

L’heure en dehors du temps

Les barrages rompus, l’esprit combla l’espace
Et disparut en tant qu’esprit, – comme une mer,
Après avoir crevé l’horizon qui l’enlace,
S’oublierait comme plat et comblerait l’éther.

Il gonfla dans le noir une sphère de glace
Dont le creux monument rougissait de l’éclair
Qu’à sa mort le soleil, pris dans la carapace,
Lançait en noircissant comme un boulet de fer.

Tout rentrait dans la bouche effroyable du maître.
La dernière forêt retrouvait son ancêtre
Dans le centre terrestre ouvert jusqu’au charbon.

La chevelure et l’eau, les membres et les branches
Tournaient comme une pâte à nourrir le Dieu bon:
Moi – puisque c’était moi, ce mangeur d’avalanches.

Q8 – T14