Archives de catégorie : bl

Les vers ne riment pas

L’hiver froid convient aux canards, et le noroît — 1994 (3)

Robert Marteau Registre (1999)

(Jeudi 22 décembre 1994)

L’hiver froid convient aux canards, et le noroît
Qui souffle les fait contents de s’ébattre où l’eau
Bat le plus fort. Tout est grisaille mais ils mettent
Du jaune et du bleu sur la pierre qu’ils décorent,
Parfois farfouillant du bec parmi le plumage,
Parfois le col dressé pour l’ostentation
Des diaprures. Près des barques: orangées,
Les palmes bien à plat au lavoir; se rengorgent;
D’un bref raclement prémédité interrompent
Ce que l’oreille et l’oeil prenaient pour le silence.
Même sans roseaux, les voilà chez eux, avec
Leurs canes dans l’étonnement toujours d’avoir
De si beaux mâles; à la bêtise, insensibles:
Objets d’art spontanés autant que glorieux.

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Seize, deux fois huit, c’est le nombre qui gouverne — 1994 (2)

Robert Marteau Registre (1999)

(Trouville, dimanche 31 juillet, lundi 1er août 1994)

Seize, deux fois huit, c’est le nombre qui gouverne
La méduse, dont un cercle est le centre, vers
Lequel seize angles ont leur sommet dirigé
Sa gélatine garde exactement l’empreinte

De la Création telle qu’au Créateur
Il échut de la calculer. On voit vers Lui
Que tout converge et qu’en même temps tout de Lui
Rayonne. Cet amas, ce miroir translucide

Est un miracle qui émerveille l’esprit
Si l’oeil d’abord s’y est arrêté. La méduse,
Pas la mer qui l’a laissée au sable, est vouée

Certainement à la mort, et bientôt à la
Putréfaction, sans pourtant que soit dissoute
L’image qu’il lui fut donné de nous transmettre.

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C’est la section d’or que la coupe du chêne — 1994 (1)

Robert Marteau Registre (1999)

(Lundi 18 avril 1994)

C’est la section d’or que la coupe du chêne
Abattu présente. On y voit inscrits les cernes
Qu’y laissa le soleil à son passage, en haut,
Quand il ondule engendrant la succession

Des saisons, s’échinant dans la plume, masqué.
Comme je dis, les oiseaux m’approuvent: les geais
Psalmodiant en choeur des psaumes amoureux
Que je n’ai pas accoutumé de leur entendre

Produire, et tout alentour l’approbation
Est générale, qu’elle ait sa source dans le gosier
De la corneille, du pivert ou du pouillot.

Mais il se tient muet et coi lui le traceur
Sinueux, embossé derrière les nuées
Bien souvent, sans jamais laisser rien au hasard.

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Les lisières, la lune, un oiseau qui traverse — 1993 (17)

Robert Marteau Registre (1999)

(Forêt de Chizé, vendredi 29 octobre 1993)

Les lisières, la lune, un oiseau qui traverse
Les dernières couleurs que le jour laisse voir:
Le brun rouge d’un guéret, l’ocre des érables,
Le violet, l’étain terni, l’or roux, le cuivre

Taché d’oxydes. Maintenant, parmi les branches:
Balafrée, encore elle, admirable galette
Offerte au bec, comme à la bouche, comme au mufle
Des bestiaux, de lait, ou de beurre, de farine

Légère, aussi la voit-on qui flotte et se tient
Suspendue, hostie en ascension, le jour
En cendres s’effondrant et la nuit à l’inverse

Lactifiée, ouverte au froissement des plumes
De la chouette hulotte en chasse, assurant
Le salut par la lumière accueillie en haut.

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L’oiseau se fait chinois dès qu’il s’appuie, ayant — 1993 (16)

Robert Marteau Registre (1999)

(Ville d’Avray, lundi de Pâques, 12 avril 1993)

L’oiseau se fait chinois dès qu’il s’appuie, ayant
Lesté son vol, sur la branche qu’il a d’en haut,
Entre toutes, d’un coup d’oeil mesurée. Il en
Décore maintenant la courbe que son poids

Accentue; il en éprouve, agrippé au bois,
Le degré de flexibilité à raison
Du mouvement qu’il a senti. Qu’en induit-il
Dans son petit athanor porté à quarante-

Deux degrés Celsius? L’air, l’eau, le feu, la terre,
Donc les quatre éléments qui sont les géniteurs
Des trois principes, savoir: le sel, le soufre,

Le mercure, comment distingue-t-il entre eux pour
Se guider dans la Nature? On dit que d’instinct
Il fait tout ce qu’il a à faire. Un point, c’est tout.

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Et si demain le jour semblable aux autres jours — 1992 (8)

Bernard Manciet Sonets

I, xiv

Et si demain le jour semblable aux autres jours
Si la pierre ne fend comme de gel frappée
si du tombeau les morts n’allaient pas se lever
pour accuser le ciel de son effondrement

si les astres allaient leur tournoyer poursuivre
si champs et prés, si tout reste silencieux,
si je meurs sans que rien au monde s’en soucie
et si je n’allais pas enfin ressuciter ?

Tu l’as pensé, mon Dieu, mon misérable Dieu,
dis-moi, dans le jardin des oliviers, un soir
étais-tu bien certain de ta divinité ?

Mais nous, vois-tu, nous en avons la certitude,
et nous te tenons tête, et toi, si bien tu l’oses,
Obscurcis-nous l’esprit, obscurci-nous la foi.

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Depuis Pythagore, et de plus loin, on avait — 1990 (12)

Robert Marteau Louange(1996)

(vendredi 31 août 1990)

Depuis Pythagore, et de plus loin, on avait
Jusqu’à nous entendu le tintement des forges,
Les voilà qui sont toutes éteintes, comme
Par désenchantement. C’est pourquoi à l’ouïe
Le monde n’a plus la même sonorité,
Sa musique ayant perdu l’échelle des sons
Fondamentaux qui montaient du métal jusqu’aux
Planètes puis redescendaient en harmonie.
Nul n’était en ce temps-là soustraint à l’essence
Des choses telle qu’il l’accuillait pas ses sens,
Telle que la lui transmettait la connaissance
Opérationnelle à la fois obéie
Et suscitée. A Héphaïstos, à Pollux,
A Castor, chaque frappement fut dédicace.

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Dans l’espace du sonnet s’apprivoisent prose — 1990 (11)

Robert Marteau Louange(1996)

(jeudi 14 juin 1990)

Dans l’espace du sonnet s’apprivoisent prose
Et vers sans permettre au hasard d’improviser.
D’un peu au-delà, à l’improviste, les mots
Surgissent, suscité par le secret sonore,
Et le mystère étymologique. Le rythme
Né de la mer et le prolongeant leur insuffle
Le désir de s’ajuster par pieds et pas dignes
De la cause qui les aspire en impromptus
Arrangements de sens liés en écriture,
Laquelle visuellment par quadrature
Fait le poème plein et l’emplit de sens. C’est
La surprise alors qui se découvre à l’oreille:
Quelque chose est dit ( qui ne l’avait pas été )
Pour rien si ce n’est la parole et le passage.

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La variété des visages, infinie, — 1990 (10)

Robert Marteau Louange(1996)

(vendredi 20 avril 1990)

La variété des visages, infinie,
Est une énigme, réellement, qui nous met
Hors de nous-mêmes, nous mettant à l’improviste,
Dans le hors-temps où tout est dit imprononcé.
Le passage perpétuel de la pensée
Arrange à tout instant autrement les traits, voue
Aux yeux le monde imprévu que la lumière ouvre
Au plus intime du sang où le soleil vit
Sans y pénétrer. L’éclosion que les nuits
Claires nous font voir, vers qui le regard se tourne,
En un trou de mémoire apparaît soudain notre
Contemporaine au cours d’un présent disparu.
Fleurs carnivores qui pensent, c’est sur leur bouche
Que l’infini bute en proférant la parole.

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