Archives de catégorie : bl

Les vers ne riment pas

Douce est la belle comme si musique et bois, — 1965 (6)

Jean Marcenac & André Bonhomme trad. Pablo NerudaLa centaine d’amour

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Douce est la belle comme si musique et bois,
Agate, voile, blé, et pêchers transparents
Avaient érigé sa fugitive statue.
A la fraîcheur du flot elle oppose la sienne.

La mer baigne des pieds lisses, luisants, moulés
Sur la forme récente imprimée dans le sable;
Maintenant sa féminine flamme de rose
N’est que bulle battue de soleil et de mer.

Ah! que rien ne te touche hormis le ciel du froid!
Que pas même l’amour n’altère le printemps.
Belle, réverbérant l’écume indélébile,

Laisse, laisse ta hanche imposer à cette eau
La neuve dimension du nénuphar, du cygne
Et vogue ta statue sur l’éternel cristal.

bl – tr

Deux femmes emmêlées forment une langouste — 1962 (1)

Pierre-Jean JouveMoires

Inferno III

Deux femmes emmêlées forment une langouste
Travaillant en miroir derrière le balcon
Rideaux tirés pour la sentinelle salace,
L’une rousse paraît un homme avec des seins

L’autre maigreur châtain est ivre et taciturne,
Alors des ventres bruns en triangle et des seins,
Des dures jarretelles étendant les cuisses,
Des chairs qui survolant se trouvent au plafond,

Et de l’or en paiement, des draps et portefeuille,
Et du ballet muet des bouches dans les yeux,
Des soutiens-gorge et souliers hauts sur les dentelles,

Elles dressent l’autel sacrilège honteux
Au Démon qui regarde et surpris de la rage
Eprouve malgré lui le plaisir furieux.

bl

Je suis ce riche, ainsi, que son heureuse clef — 1961 (3)

Henri Thomas Shakespearesonnets

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Je suis ce riche, ainsi, que son heureuse clef
Mène, s’il veut, à son doux trésor bien gardé,
Lequel il n’ira pas visiter à toute heure
Car trop fréquente joie perd son exquise pointe.

Si les festins sont si rares et solennels
C’est que, lents à venir durant la longue année,
Ils y sont clairsemés comme pierres précieuses,
Ou comme sont les grands joyaux dans le collier.

Ainsi le temps est la cassette qui te garde,
Ou l’armoire qui tient caché le vêtement,
Pour enchanter plus tard l’instant privilégié

Où se redéploiera sa splendeur prisonnière.
Sois loué, toi qui tant excelles que c’est gloire,
Ta présence, et ne pas t’avoir est espérance.

bl – disp: 4+4+4+2 – tr

Maître-maîtresse de ma passion, n’as-tu pas — 1961 (2)

Henri Thomas Shakespearesonnets

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Maître-maîtresse de ma passion, n’as-tu pas
Visage féminin, par la Nature peint,
Tendre cœur féminin, mais qui point ne connaît
Le fuyant changement cher aux perfides femmes.

Oeil plus clair que les leurs, et son jeu moins trompeur,
Dorant l’objet sur quoi s’arrête son regard.
Homme en son teint, seigneur en soi de tous les teints,
Voleur des regards d’homme et foudre au cœur des femmes.

Et femme tout d’abord tu as été créé,
Mais nature s’est attendrie en te faisant
Et de toi m’a frustré par une addition,

Une chose adjoignant qui n’est rien pour mes fins.
Puisqu’elle t’a choisi pour le plaisir des femmes,
Ton amour soit à moi, leur trésor, d’en user.

bl – disp: 4+4+4+2 – tr

Sans plongées, dominé d’un effrayant berceau, — 1959 (4)

Olivier LarrondeRien voilà l’ordre

La toilette

Sans plongées, dominé d’un effrayant berceau,
L’attelage marin déboise les courants
Chiffrés d’une presque île où débarquent vos larmes.
La comète a distrait son escorte noircie:

Voiliers aux beaux soupirs fils des nœuds dénoués,
Roseaux d’arcs insolents s’ils se lavent les mains
Dans le sel que mendie l’orphelin des piscines
Et les plantations qui sommeillent avec.

S’afficher en dompteur aux élégants décombres!
Les meutes, les juments boivent leur couleur, nous
Ventre à terre, la nôtre avec le vin des criques.

Avare on se signait là sans attendre comme
Tout le camp de la nuit sur le débarcadère
Qu’elle chavire après cette immense toilette.

bl

Le feu hantait nos jours et les accomplissait, — 1958 (17)

Yves Bonnefoy Hier régnant désert

Le bel été

Le feu hantait nos jours et les accomplissait,
Son fer blessait le temps à chaque aube plus grise,
Le vent heurtait la mort sur le toit de nos chambres.
Le froid ne cessait pas d’environner nos cœurs.

Ce fut un bel été, fade, brisant et sombre,
Tu aimas la douceur de la pluie en été
Et tu aimas la mort qui dominait l’été
Du pavillon tremblant de ses ailes de cendre.

Cette année-là, tu vins à presque distinguer
Un signe toujours noir devant tes yeux porté
Par les pierres, les vents, les eaux et les feuillages.

Ainsi le soc déjà mordait la terre meuble
Et ton orgueil aima cette lumière neuve,
L’ivresse d’avoir peur sur la terre d’été.

bl

Tu es plus belle que la nuit et comme Isis — 1958 (2)

Pierre-Jean JouveInventions

Isis

Tu es plus belle que la nuit et comme Isis
Tu es debout sur les cornes bleues de la lune,
Ta chair si blanche échappe au terme de beauté
Par mystère de lait irrigué de sang rose;

Comme une reine du ciel vert sur les nuages
Enveloppée avec l’écharpe des pensers
Ivre dès la naissance encore es-tu plus sage
De régner sur l’humain sans même le toucher;

Par un léger accord ou promesse d’un dieu
Se fait l’enfantement de tes rythmes et sphères
Et le stupre d’amour arraché des bas lieux,

O Beauté chaude et la dernière de nos âmes
Messagère de Dieu et rêve du sauveur,
Là où nul homme ne respire tu es charme.

bl  Indépendamment les quatrains et les tercets respectent l’alternance des mots-rimes (ainsi, jadis Du Bellay dans ‘arrière, arrière, ô méchant populaire », dans le sonnet entier»)

Par exemple, menteur, saigne — 1946 (1)

Olivier Larronde Les barricades mystérieuses

Le sonnet du menteur

Par exemple, menteur, saigne
Ta langue, et rougie comme l’eau
Cette joue voisine du feu
Un mensonge nous colore

Presque. Dresse tes mains au jeu
Des langues, fleur et flamme; alors
D’une curieuse haleine en plumes
Je rapproche ventre qui bouge.

Ma bouche au tisonnier j’allume,
N’espérons plus s’il n’est rouge.
Vexé que mon cœur déteigne,

J’efface tout et je signe
(Profitant du doigt qui saigne)
Sur un arbre des dimanches.

bl – 7s

O vous qui écoutez, en mes rimes éparses — 1942 (5)

Pétrarque – in   Pierre Poirier: Pétrarque vu par lui-même

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O vous qui écoutez, en mes rimes éparses
L’écho de ces soupirs dont s’est nourri mon cœur
Aux premières erreurs de l’âge juvénile
Quand j’étais en partie un autre que ne suis;

De mon style varié où je pleure et dispute
Tant d’espoirs qui sont vains et de vaines douleurs,
Je trouverai, j’espère, et pitié et pardon,
Près qui comprend l’amour pour l’avoir éprouvé.

Mais je vois, à présent, comment du peuple entier
Je fus longtemps la fable, et souvent
Je regarde en moi la honte de moi-même

De mes vers, qui sont vains, la vergogne est le fruit;
Comme le repentir j’ai la claire conscience
Que ce qui plaît au monde est un songe bien court.

bl – tr (pétr.1)

Au plus heureux lignage on souhaite un surgeon — 1942 (1)

Giraud d’Eccle Sonnets de Shakespeare

I

Au plus heureux lignage on souhaite un surgeon
qui sauve de la mort le Rosier de beauté.
Si la fleur plus ouverte avec le temps se fane,
qu’une tendre héritière assume sa mémoire.

Réduit au seul éclat de tes yeux, tu nourris
` de ton propre aliment le feu de tes regards.
A toi-même ennemi, trop cruel à tes charmes,
la famine s’installe où régnait l’abondance;

et toi, le plus récent ornement de ce monde
et l’unique héraut d’un fastueux printemps,
dans son bourgeon tu vas ensevelir ta joie,
et doux avare, gaspiller en lésinant

Prends le monde en pitié, ne sois pas ce vorace
Qui ravit avec soi, dans la tombe, son bien.

bl – disp: 4+4+4+2  tr  sh 1: « From fairest Creatures we desire increase »