Archives de catégorie : Formule entière

L’oiseau se fait chinois dès qu’il s’appuie, ayant — 1993 (16)

Robert Marteau Registre (1999)

(Ville d’Avray, lundi de Pâques, 12 avril 1993)

L’oiseau se fait chinois dès qu’il s’appuie, ayant
Lesté son vol, sur la branche qu’il a d’en haut,
Entre toutes, d’un coup d’oeil mesurée. Il en
Décore maintenant la courbe que son poids

Accentue; il en éprouve, agrippé au bois,
Le degré de flexibilité à raison
Du mouvement qu’il a senti. Qu’en induit-il
Dans son petit athanor porté à quarante-

Deux degrés Celsius? L’air, l’eau, le feu, la terre,
Donc les quatre éléments qui sont les géniteurs
Des trois principes, savoir: le sel, le soufre,

Le mercure, comment distingue-t-il entre eux pour
Se guider dans la Nature? On dit que d’instinct
Il fait tout ce qu’il a à faire. Un point, c’est tout.

bl – 12s- sns

je m’excuse beaucoup d’écrire ces sonnets — 1993 (12)

William CliffAutobiographie

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je m’excuse beaucoup d’écrire ces sonnets
sans rimes richissimes car les riches rimes
conduisent à donner beaucoup de coups de lime
lesquels font le sonnet sonner comme un poney

chargé d’idiots grelots dont on ne reconnaît
que trop qu’ils ont cent fois passé dans la machine
je m’excuse d’écrire ces sonnets l’abîme
au-dessus duquel j’étais suspendu
tonnait

comme le ventre d’un tambour et donc pour rompre
l’assourdissement de ce ventre rempli d ‘ombre
je décidai d’aller en suivant pas à pas

la danse propre à cette forme assez ancienne
afin peut-être qu’un peu de soleil me vienne
éclairer la mouvance où s’emmêlait mon pas

Q15 – T15 –   s sur s

l’hiver nous eûmes froid et les hivers étaient très longs — 1993 (8)

William CliffAutobiographie

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l’hiver nous eûmes froid et les hivers étaient très longs
je me souviens d’un hiver où la Meuse fut gelée
on pouvait la passer avec des chariots et même on
fit un feu au milieu pour rire de sa destinée

et nos bâtiments mal chauffés nous donnaient des frissons
nous aimions rentrer dans nos lits à la fin des journées
nous y mettre en chiens de fusils et trembler avant qu’on
sente enfin le lit rechauffer nos chairs frigorifiées

alors tels des noyés nous entrions au fleuve-sommeil
longtemps la nuit si longue et noire de l’hiver ce fleuve
nous traînait dans son lit pour nous soumettre à des épreuves

dont nous perdions tout souvenir au moment du réveil
quand le matin nous poussait en ouvrant ses glauques voiles
vers un évier dont l’eau glacée nous mordait jusqu’aux moelles

Q8 – T30 – 14s

Et si demain le jour semblable aux autres jours — 1992 (8)

Bernard Manciet Sonets

I, xiv

Et si demain le jour semblable aux autres jours
Si la pierre ne fend comme de gel frappée
si du tombeau les morts n’allaient pas se lever
pour accuser le ciel de son effondrement

si les astres allaient leur tournoyer poursuivre
si champs et prés, si tout reste silencieux,
si je meurs sans que rien au monde s’en soucie
et si je n’allais pas enfin ressuciter ?

Tu l’as pensé, mon Dieu, mon misérable Dieu,
dis-moi, dans le jardin des oliviers, un soir
étais-tu bien certain de ta divinité ?

Mais nous, vois-tu, nous en avons la certitude,
et nous te tenons tête, et toi, si bien tu l’oses,
Obscurcis-nous l’esprit, obscurci-nous la foi.

bl

L’aube sur le cratère allume un reflet d’or. — 1992 (7)

Henri Bellaunay Petite anthologie imaginaire de la poésie française

Les romains de la décadence

L’aube sur le cratère allume un reflet d’or.
La nuit en s’enfuyant a foudroyé l’orgie.
Le délectable loir, l’huître de Batavie,
Sur la pourpre de Tyr se confondent aux corps.

Aux cassollettes, seuls, s’exaspèrent encor,
Les parfums énervants de la perverse Asie.
Où reluit du plaisr la stridente furie
Tombe un silence épais qui ressemble à la mort.

La Vestale, ravie à sa grave retraite,
Pleure inlassablement sa pureté défaite
Sur la dalle où le stupre a souillé le Carrare.

Ils gisent, engloutis dans un glauque sommeil,
Et ne peuvent pas voir, offusquant le soleil,
L’ombre démesurée et noire du Barbare.

(José-Maria de Heredia)

T15 – Q15

Toute douceur contient une part d’amertume — 1992 (1)

Jacques Réda Nouveau livre des reconnaissances


Au maître

Toute douceur contient une part d’amertume
Et le moindre abandon penche vers un danger.
L’amour seul est parfait mais il est mensonger,
Où chaque instant vêcu semble déjà posthume.

Et c’est à quoi jamais le coeur ne s’accoutume
Faudrait-il pour autant gémir ou s’insurger?
Passer, réglant son pas sur un mètre léger
Entre le ciel trop pur et le sombre bitume.

Tout au fond d’une chambre en été – noir et blanc
Où palpite un rayon fauve – mais  en tremblant
Un peu, tu reconnais parfois dans ta mémoire

L’image d’une femme: elle tire ses bas
Et l’on entend fermer la porte d’une armoire,
Tant (pour la rime aussi) vous parliez bas.

Q15 – T14 – banv

Seins de glace ou d’enfer, orage — 1991 (2)

Guy Goffette La vie promise

La montée au sonnet (Pour un art poétique)
Muses

Seins de glace ou d’enfer, orage
En plaine et la mer entre les collines
Agenouillant sans mot dire celui
Qui n’avait soif que de lui-même.

Le temps présent à ses mots, le voici
Sans paroles jeté hors du poème,
Chair à nouveau et feu et eau,
Porte battante battant le coeur

Comme une grange de l’été paille et poutre
Avec la mort petite et sourde
Qui s’impatiente, voudrait parler,

Parler, de plus en plus haut,
Jusqu’à ne plus entendre qu’elle,
Dans leur bouche, qui muse.

r.exc. – m.irr

C’est la vie qui vous fait mourir, — 1991 (1)

Guy Goffette La vie promise


Le voyageur oublié (sur un vers de Claude Roy)

C’est la vie qui vous fait mourir,
Ecriviez-vous dans ce poème où tout
Demeure à vif: le crépitement des trolleys,
La nuque de l’amante à son miroir

Et jusqu’à la jeune morte sur son lit,
Tellement sage qu’on ne sait plus
Si c’est le temps qui passe ou nous
Qui passons à travers lui, les mains vides,

Comme un train somnambule à travers
La campagne endormie – et le voyageur
Oublié dans le creux de ses bras

Est un lac au soleil de midi, un lac
Que rien ne trouble, pas même le reflet
Du corps penché  qui tremble dans la vitre.

r.exc.  – m.irr

Depuis Pythagore, et de plus loin, on avait — 1990 (12)

Robert Marteau Louange(1996)

(vendredi 31 août 1990)

Depuis Pythagore, et de plus loin, on avait
Jusqu’à nous entendu le tintement des forges,
Les voilà qui sont toutes éteintes, comme
Par désenchantement. C’est pourquoi à l’ouïe
Le monde n’a plus la même sonorité,
Sa musique ayant perdu l’échelle des sons
Fondamentaux qui montaient du métal jusqu’aux
Planètes puis redescendaient en harmonie.
Nul n’était en ce temps-là soustraint à l’essence
Des choses telle qu’il l’accuillait pas ses sens,
Telle que la lui transmettait la connaissance
Opérationnelle à la fois obéie
Et suscitée. A Héphaïstos, à Pollux,
A Castor, chaque frappement fut dédicace.

bl – 12s – sns