Archives de catégorie : Genre des rimes

Pour bâtir aujourd’hui, l’art de l’architecture — 1843 (19)

– Moyse Alcan à Pierre Perrat

Sonnet

Pour bâtir aujourd’hui, l’art de l’architecture
N’a plus que le compas, la pierre et le ciment.
Des œuvres d’autrefois éternel élément,
La croyance a fait place à la science impure.

Vos noms, divins auteurs d’un pieux monument,
Sont jetés par l’oubli dans une nuit obscure ;
Sous les sombres piliers l’oiseau seul les murmure,
Et le vent les redit comme un gémissement.

Mais que t’importe à toi notre mortelle gloire !
Perrat*, qu’as-tu besoin des pages de l’histoire,
Toi qui sus abriter le juste & le pécheur.

De prière et d’encens cette nef embaumée
Ne nous dit-elle pas mieux que la renommée :
Heureux qui construisit la maison du Seigneur !

* Architecte de la Cathédrale de Metz

Q16  T15

Quand, par un jour de pluie, un oiseau de passage — 1843 (17)

– Alfred de Musset

A la même

Quand, par un jour de pluie, un oiseau de passage
Jette au hasard un cri dans un chemin perdu,
Au fond des bois fleuris, dans son nid de feuillage,
Le rossignol pensif a parfois répondu.

Ainsi fut mon appel de votre âme entendu,
Et vous me répondez dans notre cher langage.
Ce charme triste et doux, tant aimé d’un autre âge,
Ce pur toucher du cœur, vous me l’avez rendu.

Etait-ce donc bien vous ? si bonne et si jolie,
Vous parlez de regrets et de mélancolie.

–       Et moi peut-être aussi j’avais un cœur blessé.

Aimer n’importe quoi, c’est un peu de folie,
Qui nous rapportera le bouquet d’Ophélie
De la rive inconnue où les flots l’ont laissé ?

Q10  T6  suite au n°16

La fleur de la jeunesse est-elle refleurie — 1843 (16)

Marie-Mennessier Nodier in Alfred de Musset  oeuvres poétiques

A Alfred de Musset

La fleur de la jeunesse est-elle refleurie
Sous les rayons dorés du soleil d’autrefois ?
Mon beau passé perdu connait-il votre voix,
Et vient-il, l’étourdi, railler ma rêverie ?

Par la chute des jours mon âme endolorie
A laissé ses chansons aux épines des bois.
Du fardeau maternel j’ai soulevé le poids,
J’ai vêcu, j’ai souffert, et je me suis guérie.

Hélas ! qu’il est donc loin le printemps écoulé !
Que d’étés ont séché son vert gazon foulé !
Que de rudes hivers ont refroidi sa sève ;

Mais de votre amitié le doux germe envolé
A retrouvé sa place, et mon cœur consolé
En recueille les fleurs au chemin qui s’achève.

Q15  T6  réponse au sonnet précédent

Je vous ai vue enfant, maintenant quand j’y pense, — 1843 (15)

Alfred de Musset in ed. pléiade des Œuvres poétiques

A Marie-Mennessier-Nodier

Je vous ai vue enfant, maintenant quand j’y pense,
Fraiche comme une rose et le cœur dans les yeux,
« Je vous ai vu bambin, boudeur et paresseux ;
Vous aimiez Lord Byron, les grands vers et la danse »

Ainsi me revenaient les jours de notre enfance,
Et nous parlions déjà le langage des vieux ;
Ce jeune souvenir riait entre nous deux,
Léger comme un écho, gai comme l’espérance.

Le lâche craint le temps parce qu’il fait mourir ;
Il croît son mur gâté lorqu’une fleur y pousse.
O voyageur ami, père du souvenir,

C’est ta main consolante, et si sage, et si douce,
Qui conserve à jamais un pas fait sur la mousse,
Le hochet d’un enfant, un regard, un soupir.

Q15  T21

Maître, malgrè les cris, poursuis ta longue route. — 1843 (14)

Francis Girault in  Balzac : Lettres à l’étrangère

Maître, malgré les cris, poursuis ta longue route.
Va, grandissait toujours, sans crainte ni souci.
De tes conceptions le cercle, Dieu merci,
Est loin d’être épuisé : tu sais ce qu’il en coûte

Ah ! tout puissant esprit qui force qu’on l’écoute !
L’envieux journaliste, au cerveau rétréci,
Ne te pardonne pas de l’avoir peint : aussi
Déverse-t-il sur toi sa haine goutte à goutte.

Qu’il siffle ou qu’il aboie, et que t’importe-t-il ?
Dessine sans broncher le multiple profil
De ce siècle inouï ; maître ; c’est là ton œuvre.

Qui peut fermer la bouche aux petits détracteurs ?
Reste donc au sommet. La rampante couleuvre
Ne s’élève jamais à de telles hauteurs.

Q15  T14

L’infini, le fini, l’esprit et la matière, — 1843 (12)

? Poésies rationalistes

L’humanité

L’infini, le fini, l’esprit et la matière,
Le temps, l’indéfini, la nuit et la lumière,
Voilà bien, répondez, tous nos sujets d’orgueil,
Je n’en connais pas un qui soit fait pour notre œil.

Aux lueurs de ces flambeaux à notre fin dernière
Tristement nous marchons, regardant en arrière ;
Nous rentrons sous la terre en approchant du seuil,
A ceux qui l’ont passé nous gardons notre deuil.

Dans la profonde nuit cette marche incertaine
Trahit, à chaque pas, notre faiblesse humaine,
L’homme ne sait-il rien ? pourrait-il tout savoir ?

Voilà du vieil enfant l’éternel désespoir.
Pour faire des jouets de ses œuvres insignes
Nous empruntons à Dieu ses chiffres et ses signes.

Q1  T13

C’est à l’heure où l’on voit la tempête et l’orage — 1843 (11)

Th. Wains-des-Fontaines Otia

sonnet IV – à M.A. de R...

I
C’est à l’heure où l’on voit la tempête et l’orage
Bouleverser les mers, – que l’Alcyon plaintif,
S’élançant tout-à-coup du sommet d’un récif,
Aux pales nautonniers annonce le naufrage.
II
Ce n’est pas cependant qu’il aime les éclairs;
Qu’il aime voir la foudre et les vents, dans leur rage,
De leurs affreux combats épouvanter les airs,
Et de tristes débris joncher au loin la plage;
III
Oh non! quand l’Alcyon apparaît sur les flots,
Messager tutélaire, – il vient aux matelots
Annoncer les périls qui menacent leurs têtes;
IV.
L’orage politique au Ciel gronde aujourd’hui,
Vos jours sont en danger, et j’accours comme lui,
Annoncer l’heure des Tempêtes.

Q53 – T15 – 2m (octo: v.14)  – disposition originale

Soit que paisible au sein du foyer domestique, — 1843 (10)

François Ponsard in Oeuvres complêtes, III (1876)


A madame Dorval, après la représentation de Lucrèce

Soit que paisible au sein du foyer domestique,
Vous nous rajeunissiez le gynécée antique,
Et qu’ouvrant votre coeur à la douce pitié,
Vous charmiez le malheur  par des mots d’amitié;

Soit que vous commandiez, majestueuse et sainte,
Au crime audacieux le respect et la crainte,
« Et qu’un courroux auguste éclatant dans votre oeil,
Des regards de Sextus fasse baisser l’orgueil »;

Soit qu’appelant chez vous un tribunal intime,
Vous y comparaissiez, pâle mais plus sublime,
Pour l’exemple  à donner résolue au poignard;

Tout à tour gracieuse, ou sévère, ou funeste,
Aux mouvements du coeur empruntant votre geste,
Trois fois vous nous montrez la nature de l’art.

Q55 – T15 Quatrains: aabb  a’a’b’b’. Sans réfléchir, et par ignorance sans doute, mr Robb prend l’emploi de quatrains plats par Ponsard pour une plaisanterie !

Quand je touche rêveuse à ces feuilles sonores, — 1843 (9)

Marceline Desbordes-Valmore Bouquets et prières


Au livre de Consolations
par Monsieur Sainte-Beuve

Quand je touche rêveuse à ces feuilles sonores,
D’où montent les parfums des divines amphores,
Prise par tout mon corps d’un long tressaillement,
Je m’incline et j’écoute avec saisissement.

O fièvre poétique! O sainte maladie!
O jeunesse éternelle! O vaste mélodie!
Voix limpide et profonde! Invisible instrument!
Nid d’abeille enfermé dans un  livre charmant!

Trésor tombé des mains du meilleur de mes frères!
Doux Memnon! Chaste ami de mes tendres misères!
Chantez, nourrissez-moi d’impérissable miel:

Car je suis indigente à me nourrir moi-même;
Source fraîche, ouvrez-vous à ma douleur suprême,

Et m’aidez, par le monde, à retrouver mon ciel!

Q27 – T15 – Quatrains à trois rimes: aabb a’a’bb

Moi, je suis la tulipe, une fleur de Hollande; — 1843 (8)

(Balzac)

– Que pensez-vous de mes pauvres sonnets? demanda formellement Lucien.
– Voulez-vous la vérité? dit Loustau.
– Je suis assez jeune pour l’aimer, et je veux trop réussir pour ne pas l’entendre sans me fâcher, mais non sans désespoir, répondit Lucien.
– Hé! Bien, mon cher, les entortillages du premier annoncent une oeuvre faite à Angoulème, et qui vous a sans doute trop coûté pour y renoncer; le second et le troisième sentent déjà Paris; mais lisez-m’en un autre encore? ajouta-t-il en faisant un geste qui parut charmant au grand homme de province.
Encouragé par cette demande, Lucien lut avec plus de confiance le sonnet que préféraient d’Arthez et Bridau, peut-être à cause de sa couleur.

CINQUANTIEME SONNET.
La Tulipe.

Moi, je suis la tulipe, une fleur de Hollande;
Et telle est ma beauté que l’avare flamand
Paye un de mes oignons plus cher qu’un diamant,
Si mes fonds sont bien purs, si je suis droite et grande.

Mon air est féodal, et, comme une Yolande
Dans sa jupe à longs plis étoffée amplement,
Je porte des blasons peints sur mon vêtement:
Gueules fascé d’argent, or avec pourpre en bande;

Le jardinier divin a filé de ses doigts
Les rayons du soleil et la pourpre des rois
Pour me faire une robe à trame douce et fine.

Nulle fleur du jardin n’égale ma splendeur,
Mais la nature, hélas! N’a pas versé d’odeur
Dans mon calice fait comme un vase de Chine.

Q15 – T15

– Eh, bien? dit Lucien….

ce sonnet est dû, semble-t-il, à Théophile Gautier