Jeune femme, aux grands yeux, à la pâle beauté, — 1841 (12)

Edouard Gout-Desmartres Gerbes de poésie

Sonnet-épilogue

Jeune femme, aux grands yeux, à la pâle beauté,
Oiseau dont l’oiseleur a lié les deux ailes,
Flambeau dont un vent froid glace les étincelles,
Trésor que dans sa tour l’avare a transporté.

Jeune femme au front pâle, au regard attristé,
J’ai compris votre sort et vos larmes cruelles :
Mais je connais un cœur dont les élans fidèles
Veulent mettre un soleil dans vos cieux de clarté.

Ma Muse qu’un soupir plus que la joie attire,
Loin du monde souvent médite et se retire
Là, pour celui qui souffre elle a des chants sacrés.

A vous ses derniers vœux et son dernier hommage ;
Et lorsque vous lirez ce livre, à chaque page
Lisez le mot divin qui vous dit : « Espérez ! …. »

Q15  T15

J’aime, seul et pensif, à m’égarer le soir, — 1841 (11)

Agathe Baudouin Rêveries sur les bords du Cher

Sonnet traduit de Pétrarque

J’aime, seul et pensif, à m’égarer le soir,
Dans les prés, sur les monts où règne le silence,
A l’abri du rameau que la brise balance
En fuyant les humains, heureux je viens m’asseoir.

Ignoré, je jouis des biens que le pouvoir
Ne laisse pas aux rois, que partout on encense
Et la joie, en mon cœur, se développe immense,
Libre de ces liens qui font mon désespoir !

Oh ! je veux désormais, aux sources du génie,
Aux torrents, aux forêts, abandonnant ma vie
Ainsi la dérober au regard des mortels.

Mais puis-je, hélas ! toujours être fier et sauvage ?
L’amour ne peut-il pas, errant sur ce rivage,
M’entraîner en esclave aux pieds de ses autels ?

Q15  T15  tr (Pétrarque xxxv : ‘solo e pensoso…)

Oh ! que je te bénis, ma belle bien aimée ! — 1841 (10)

Moyse Alcan Noéma

Sonnet à Noéma

Oh ! que je te bénis, ma belle bien aimée !
Mon âme qui dormait par toi s’est ranimée,
Et les jours qu’en soucis je passais tristement,
Comme des rêves d’or s’écoulent maintenant.

Gloire, honneur et plaisir, fortune, renommée,
– Vaines illusions dont la vie est semée,
D’un amour éternel valent-ils le serment,
Et le bonheur promis dans ton regard d’aimant ?

Oh ! redis-moi souvent ces deux mots là : Je t’aime !
Ces mots harmonieux qu’envîrait Dieu lui-même,
Et dont je me souviens les yeux baignés de pleurs !

Redis les pour ces jours où la cruelle absence
Va condamner, hélas ! notre bouche au silence,
Sans l’imposer jamais à la voix de nos cœurs !

Q1  T15 Auteur d’un sonnet à la gloire de Louis XVI qui aurait eu ‘de la pitié pour les juifs’ !

Il chantait, le zéphir écoutant son doux chant, — 1841 (9)

Frédéric Durand fils, épicier La Muse occitanique

Le Troubadour

Il chantait, le zéphir écoutant son doux chant,
Murmurait mollement dans la verte aubépine,
Les oiseaux se taisaient dans les buissons du champ,
Et les échos dormaient au fond de la colline.

Il chantait, les oiseaux oubliant leur penchant
Suspendaient le courant de leur onde argentine,
Et le jour indécis, aux bornes du couchant,
Trompait au rendez-vous l’amoureuse Delphine.

Et tout à coup du ciel la foudre s’abaissa,
Le chant finit ! bientôt quand l’amante passa,
Un luth ensanglanté frappa soudain sa vue.

Elle pleura log-temps ! depuis ce triste jour,
On entend là gémir quand la nuit est venue
Dans les cordes du luth l’âme du troubadour.

Q8  T14  rime incorrecte (vers 1 & 3)

Plus d’une fois, couvert d’une mince veste de soie — 1841 (8)

Balzac Mémoires de deux jeunes mariées

Tous les matins il m’apporte lui-même un bouquet d’une délicieuse magnificence, au milieu duquel je trouve toujours une lettre qui contient un sonnet espagnol à ma louange, fait par lui pendant la nuit. Pour ne pas grossir ce paquet, je t’envoie comme échantillon le premier et le dernier de ses sonnets, que j’ai traduits mot à mot en te les mettant vers par vers
PREMIER SONNET

Plus d’une fois, couvert d’une mince veste de soie, – l’épée
haute, sans que mon cœur battît une pulsation de plus, – j’ai
attendu l’assaut du taureau furieux, – et sa corne plus aiguë
que le croissant de Phoebé.

J’ai gravi, fredonnant une seguidille andalouse, – le talus
d’une redoute sous une pluie de fer ; – j’ai jeté ma vie sur le ta-
pis vert du hasard – sans plus m’en soucier que d’une quadruple
d’or.


J’aurais pris avec la main les boulets dans la gueule des
canons ; – mais je crois que je deviens plus timide qu’un lièvre
aux aguets ; – qu’un enfant qui voit un spectre aux plus de sa fenêtre.


Car, lorsque tu me regardes avec ta douce prunelle, – une
sueur glacée couvre mon front, mes genoux se dérobent sous
moi, – je tremble, je recule, je n’ai plus de courage.

pr  tr

Quand l’homme avec le fer sur le champ des aïeux — 1841 (7)

Antoine Tenant de La Tour Poésies complêtes

Le chemin de fer

Quand l’homme avec le fer sur le champ des aïeux
De ses nouveaux chemins aura tissu la trame,
Et pour mettre à ses pieds les deux ailes de l’âme,
Aura doué ses chars de magiques essieux,

En bas de ces côteaux où vous rêvez, madame,
Peut-être passera le sillon lumineux,
Et ce Paris aimé fera luire à vos yeux,
Dans sa blanche fumée, un éclair de sa flamme.

Alors si le matin m’offre une douce fleur,
Ou qu’un sonnet, le soir, s’envole de mon coeur,
Au souffle de la brise ou de la fantaisie;

J’irai vous le porter, pour qu’avant de mourir,
Les deux fleurs du printemps et de la poésie,
Entre vos belles mains achèvent de s’ouvrir.

Q16 – T14

La poésie du chemin de fer n’a pas tardé à naître, avec les premières locomotives. On se souvient de Vigny:  » Sur le taureau de fer qui fume, souffle et beugle, / L’homme a monté trop tôt. Nul ne connaît encor / Quels orages en lui porte ce rude aveugle, / Et le gai voyageur lui livre son trésor; /  »

(critique de la Revue de Paris) : « C’est au sonnet que M.de Latour a le plus souvent confié l’expression de sa pensée, et maintes fois avec bonheur. Le sonnet, qui, depuis quelques années, fait de bien grands efforts pour devenir populaire et reconquérir cette importance qu’on lui attribuait à l époque fortunée des fameuses querelles engagées entre les jobistes et les uranistes, le sonnet, il en faut convenir, est le mode de versification le plus apte à recevoir une impression fugitive qui gagne à se trouver condensée en une forme bizarre peut-être, mais dont les quatre pans, taillés à facettes, la font admirablement reluire, quand on l’y sait embrasser avec adresse. La réhabilitation de ce petit poème date de 1828. L’écrivain, qui s’adonnait alors à l’intéressante étude des poètes trop oubliés du xvième siècle, séduit par toutes les grâces coquettes des sonnets de Ronsard, de Desportes, de Dubellay et des autres membres de la Pléiade, ne put résister dès-lors à la fantaisie de cristalliser en sonnets quelques minces courans d’idée poétique, ce qui a fait dire de lui avec raison : « Du sonnet Sainte-Beuve a rajeuni le charme. Pour n’avoir pas encore trouvé d’accueil bien décidément favorable auprès du public, cette tentative n’en a pas moins été très activement suivie par bien des poètes. Il est à remarquer toutefois, que ni M. de Lamartine, ni M.Hugo n’ont adopté le sonnet . Cette réserve s’explique, quant à M. de Lamartine, par la nature même de ses inspirations ; leurs grandes ailes se trouveraient à l’étroit et froissées dans cette enceinte anguleuse et fragile ; il leur faut une plus vaste atmosphère pour se déployer dans toute leur majesté d’allure ; mais M.Hugo, qui a tant élaboré de rhythmes divers, n’avait pas les mêmes motifs de s’abstenir, et l’on doit regretter qu’il l’ait fait. Toutefois, pour deux qui ne l’ont pas admis, bien d’autres sont venus disputer à son régénérateur contemporains la palme du sonnet. L’auteur des Iambes s’est efforcé de reproduire dans ce médaillon ciselé quelques physionomies de peintres italiens. M. Théophile Gautier , dans sa Comédie de la Mort, deux ou trois petites merveilles en ce genre. M. Antoine de Latour ne s’y est pas non plus exercé vainement. Beaucoup de ses sonnets ont une aisance, une souplesse de démarche, et sont découpés avec une si élégante symétrie, qu’il peut s’applaudir d’avoir choisi cette forme d’où la pensée, quand on l’y pousse savamment en relief, jaillit comme l’eau d’un tube étroit. »

Quand le raisin est mûr, par un ciel clair et doux, — 1841 (6)

Aloysius Bertrand Oeuvres

A Monsieur Eugène Renduel. Sonnet.

Quand le raisin est mûr, par un ciel clair et doux,
Dès l’aube, à mi-côteau rit une foule étrange:
C’est qu’alors dans la vigne, et non plus dans la grange,
Maîtres et serviteurs, joyeux, s’assemblent tous.

A votre huis, clos encor, je heurte. Dormez-vous?
Le matin vous éveille, éveillant sa voix d’ange.
Mon compère, chacun en ce temps-ci vendange;
Nous avons une vigne; – eh bien! vendangez-vous?

Mon livre est cette vigne, où, présent de l’automne,
La grappe d’or attend, pour couler dans la tonne,
Que le pressoir nouveau crie enfin avec bruit.

J’invite des voisins, convoqués sans trompette,
A s’armer promptement de paniers, de serpettes,
Qu’ils tournent le feuillet: sous le pampre est le fruit!

Q15 – T15

J’ai groupé trois sonnets d’époque différente de l’auteur de Gaspard de la nuit, d’après l’édition récente des oeuvres complètes (M. Poggenburg ne signale pas la césure épique, étrange, au vers 4 de 4). Les circonstances de la composition de 6 (peu avant la mort de Bertrand) sont les suivantes:  » Renduel ne tenait pas sa promesse de publier Gaspard de la nuit. « … E. Cluzel (1957) remarque:  » la répétition dans un même vers du verbe éveiller, employé maladroitement pour évoquer une image peu vraisemblable, imperfection regrettable dans un poème si admirable ». (Le con!)

Ma Muse languissait, triste, inconnue à tous, — 1841 (5)

Aloysius Bertrand Oeuvres

Sonnet à la Reine des Français

Ma Muse languissait, triste, inconnue à tous,
Cachant des pleurs amers parmi sa manteline;
Soudain elle reprend crayon et mandoline.
Muse, quel ange donc s’est assis entre nous?

Madame, il est un ange, au front riant et doux,
Ange consolateur qui, dès l’aube, s’incline
Vers les mortels souffrants, la veuve et l’orpheline,
L’enfant et le vieillard, – et cet ange, c’est vous!

Votre nom soit béni! – ce cri qui part de l’âme,
Ne le dédaignez point de ma bouche, Madame!
Un nom glorifié vaut-il un nom bêni?

Oh! Je vous chante un hymne avec joie et courage,
Comme l’oiseau mouillé par le nocturne orage
Chante un hymne au soleil qui le sèche en son nid!

Q15 – T15

Gloire à toi dans la langue et du Pinde et d’Endor — 1841 (4)

Aloysius Bertrand Oeuvres (ed.Poggenburg)


A Victor Hugo, poète. Sonnet

Gloire à toi dans la langue et du Pinde et d’Endor
Gloire à toi dont les vers, sublime poésie,
Se nourrissent de sang, de miel et d’ambroisie,
D’une colombe éclose dans le nid du condor!

Non, tu ne joutes point comme le picador
Qu’aux tournois de taureaux, chers à l’Andalousie,
Un sourire amoureux enivre et rassasie
Sous les balcons tendus de fleurs, d’ivoire et d’or.
Depuis Napoléon nul qui soit de ta taille
Au siècle n’a joué plus immense bataille –
Poète qui combats avec un luth de fer!

Et nul de ton soleil que la gloire environne
Ne t’a précipité sans vie ou sans couronne
Comme Napoléon ou comme Lucifer.

Q15 – T15 – disposition notable : 4+7+3 – césure épique au vers 4

Je vais quitter Paris, ville de ma douleur, — 1841 (3)

Paul Ackermann Chants d’amour

sonnet

Je vais quitter Paris, ville de ma douleur,
Où l’amitié, l’amour, ont épuisé mes pleurs:
Mon esprit accablé sur soi-même retombe.

Emma, Louis, doux noms qu’enferme cette tombe,
En vous voyant tracés, mon coeur saigne et succombe;
Vous étiez mon repos, ma joie et mon bonheur.

Souffrir, voilà la vie! Et l’ardeur de l’étude
Ne calme pas le coeur. Ah! c’est chose bien rude

De repousser la mort! car il est dans les Cieux
Un amour infini, plus que tout précieux.

aab bbc dd ee – disp: 3+3+2+2 – 10v

un essai de ‘sonnet court’

par Jacques Roubaud