Sire, /D’un enfant bien chéri long-temps avant de naître, —1811 (1)

de Meulenaer

Sonnet pour féliciter S.M. l’empereur

Sire,
D’un enfant bien chéri long-temps avant de naître,
Le sexe désiré répond à tes souhaits.
Partout la joie éclate, et te donne à connoître
Que ton Fils est déjà l’espoir de tes sujets.

L’Empire sous la loi d’un sage et puissant maître,
Voit son destin fixé! Sa splendeur, à la paix,
Ne pourroit augmenter. Qui voudroit méconnoître
Que le ciel t’aie élu pour remplir ses décrets?

Monarque fortuné, l’univers te contemple!
A toi seul tout sourit! Ton bonheur sans exemple,
Aux peuples étonnés paroît surnaturel.

J’admire tes succès! permets cet humble hommage
Pour toi, pour ta compagne et pour le premier gage
Du plus brillant hymen qu’ait béni l’Eternel.

Q8 – T15

En dépit de la grande banalité du texte et de sa forme, l’oeuvre de de Meulenaer vaut par ce fait curieux que les nécessités de l’adresse à un personnage aussi majestueux que Napoléon l’amènent à une innovation qui aurait pu être reprise et amplifiée: l’introduction, dans le texte du poème, et extérieurement aux quatorze vers, d’un ou plusieurs mots; ici le mot ‘Sire’.

Qui n’admire, à Paris, qu’une auguste puissance, —1810 (1)

Tournetoris L’art Musical relatif à l’accord de piano….

sonnet.  Sur les embellissements de Paris.

Qui n’admire, à Paris, qu’une auguste puissance,
Donne aux vieux monumens la fraîcheur des nouveaux!
La foule d’artisans, qui vit en ces travaux,
Annonce que Minerve en dicta l’ordonnance.

Par un arc de triomphe, emblème de vaillance,
L’artiste, au Carousel, étonne ses rivaus;
Et Mars, pour l’entourer de vingt mille chevaux,
Au second bras du Louvre a fait prendre naissance.

Quel lieu ne se dispose à charmer nos regards!
Des fontaines, des ponts, des quais, des boulevards ….
Croissent comme des fleurs qu’un zéphir dévelope.

Un tel enchantement nous montre le pouvoir
Du héros que les dieux rendirent à l’Europe,
Quand le trouble eut livré la France au désespoir.

Q15 – T14 – banv

Un beau titre, celui de l’ouvrage de ce ‘facteur d’instrumens’ : L’art Musical relatif à l’accord de piano, suivi de deux sonnets, de trois stances, et de l’art de faire la conquête des belles. La forme de son sonnet est régulière (au sens des traités des siècles précédents). (Et c’est même la variante qui a été ensuite préconisée comme modèle absolu par Banville)

Que ta loi, Dieu puissant, est douce et consolante ! — 1809 (2)

J.M.Mossé Poésies

Sonnet religieux

Que ta loi, Dieu puissant, est douce et consolante !
Elle fait oublier le plus rigoureux sort ;
Et mon âme, en souffrant du mal qui la tourmente,
S’élance jusqu’à toi par un sublime effort.

Quel est l’être insensé, dont l’humeur insolente
Ose nier son Dieu, se croyant esprit-fort ?
N’entend-il pas sans cesse une voix menaçante
Qui lui dit : Vain Mortel ! tremble ! voici la mort ! –

J’idolâtre tes lois ; tes décrets sont trop justes
Pour faire murmurer de tes pouvoirs augustes ;
Et je bénis les maux qui m’accablent toujours.

J’ai péché, je le sais, grand Dieu, je le confesse ;
Pardonne à ton enfant, qui vit dans la détresse,
Et vient le consoler par ton divin secours.

Q8  T15

L’amour m’enlève au Dieu des Vers; — 1809 (1)

A. Antignac Chansons et poésies diverses

Sonnet en réponse à quelqu’un qui me reprochait ma paresse

L’amour m’enlève au Dieu des Vers;
Mon silence est bien légitime;
Quand la raison est à l’envers,
On ne doit plus chercher la rime.

Pour son honneur et pour le mien,
Ma muse un instant se repose,
Les amateurs n’y perdront rien,
Et j’y gagnerai quelque chose.

Si la gloire a beaucoup de prix,
Je sens qu’un coeur vraiment épris
N’est pas le moins heureux du monde.

Apollon cependant me plaît:
Mais ce Dieu-là, tout blond qu’il est,
Ne vaudra jamais une blonde.

Q59 – T15 – octo

J’ai huit pieds, cher lecteur, et mon tout fait pour plaire —1808 (7)

P.J. Charrin Mes loisirs ou Recueil de poésies

Logogriphe A Mademoiselle *** A ***

Sur son nom

J’ai huit pieds, cher lecteur, et mon tout fait pour plaire
S’il s’offrait à tes yeux maîtriserait ton coeur.
Tu me nommes souvent pour peindre ton bonheur,
J’habite en même temps et les cieux et la terre.

Cherche, et tu trouveras, en me décomposant
D’un peuple quel qu’il soit la moins brillante classe,
Un meuble précieux, duquel on ne se passe
Sans qu’on y soit contraint par un événement.

Un arbre, un des quartiers de cette grande ville,
Une substance amère, et parfois très-utile,
Un endroit isolé, défendu par les eaux,

Le corps le plus vaillant, le plus beau d’une armée,
Enfin, un de ces jours dont l’enfance est charmée,
Et qui furent toujours consacrés au repos.

Q63 – T15

On a affaire ici à un de ces jeux de société dont le dix-huitième siècle fut friand. (Je renvoie à l’indispensable ouvrage de Claude Gagnaire ‘Pour tout l’or des mots‘, pour la définition du logogriphe).

Solution due à Alain Chevrier:

J’ai huit pieds, cher lecteur, et mon tout fait pour plaire
S’il s’offrait à tes yeux maîtriserait ton coeur.
Tu me nommes souvent pour peindre ton bonheur, = FéLICITÉ
J’habite en même temps et les cieux et la terre. = FéE (ou ELFE ?)

Cherche, et tu trouveras, en me décomposant
D’un peuple quel qu’il soit la moins brillante classe = LIE
Un meuble précieux, duquel on ne se passe
Sans qu’on y soit contraint par un événement: = LIT

Un arbre, = IF un des quartiers de cette grande ville = CITÉ,
Une substance amère = FIEL et parfois très-utile,
Un endroit isolé, défendu par les eaux, = ILE

Le corps plus vaillant, le plus beau d’une armée, = ÉLITE
Enfin, un de ces jours dont l’enfance est charmée, = FêTE
Et qui furent toujours consacrés au repos.

En résumé :
Félicité : fée (ou elfe), lie, lit, cité, fiel, île, élite, fête.

Il vient à moi l’oiseau qui nous prédit l’orage, — 1808 (6)

Stanislas de Boufflers Recueil de Poésies, extraits des ouvrages d’Hélène-Maria Williams, ….

Le courlis

Il vient à moi l’oiseau qui nous prédit l’orage,
Appelé par le bruit du flot qui bat ces bancs;
Il livre aux aquilons son grisâtre plumage,
Et mêle un cri plaintif à leurs rugissemens.

Triste oiseau! Nous avons un même caractère.
Plus sauvage que toi, j’aime à porter mes pas
Entre les rocs épars sur ce bord solitaire;
Les plus rians bosquets sont pour moi sans appas.

O mer! Je t’aime calme, et j’aime ta furie!
Quand je vois les courans, sur ta surface unie,
Fuir en traits lumineux, je m’arrête en disant:

Voici comme ils ont fui, les beaux jours de ma vie!
A tes flots, sur tes flots se pressant, se brisant,
Peignent trop bien mon coeur tel qu’il est à présent.

Q59 – T8

Toi qu’on voit dans les airs suspendre un beau feuillage — 1808 (5)

Stanislas de Boufflers Recueil de Poésies, extraits des ouvrages d’Hélène-Maria Williams, ….

Sonnet sur le calebassier

Toi qu’on voit dans les airs suspendre un beau feuillage
Dont le soleil encor rehausse les couleurs,
Tandis qu’au malheureux couché sous ton ombrage
Ton riche fruit présente un sac consolateur!

Quand je porte vers toi mes pas involontaires,
Je sens parmi tes fleurs mon chagrin endormi;
Ton ombrage invitant et tes fruits salutaires
Offrent à mon esprit l’image d’un ami.

Tu me peins l’amitié qui, soigneuse et discrète,
Travaille à refermer les blessures du coeur,
Et, d’un mal incurable émoussant la douleur

Verse un baume secret sur la peine secrète.
Je sais trop que le baume est peu sûr, mais, hélas!
Il adoucit du moins ce qu’il ne guérit pas.

Q59 – T30

Visite, douce paix ! la vallée épineuse — 1808 (4)

Stanislas de Boufflers Recueil de Poésies, extraits des ouvrages d’Hélène-Maria Williams, ….

Sonnet sur la paix de l’ame

Visite, douce paix ! la vallée épineuse
Que je parcours pensive, en l’arrosant de pleurs,
Loin des sentiers riants où la jeunesse heureuse
D’un pied léger foule des fleurs ;

Ainsi que mon bonheur, que le jour disparaisse,
Que la nuit sur le monde étende un voile noir ;
Le jour, la nuit verront mes pleurs couler sans cesse :
Mais que servent les pleurs au chagrin sans espoir ?

Heureuse paix de l’ame ! en vain je te conjure ;
Quand l’hiver orageux consterne la nature,
On n’obtient pas du ciel de se montrer plus beau :

Ma vie est cet hiver : mais, contre la tempête,
Il est un abri pour ma tête ;
Et cet abri, c’est le tombeau.

Q59 – T15 – 2m:octo: v.4,13,14

(a.ch) L’auteur a en tête, sans doute, les discours en vers à rimes mélées de son temps.

Siddons! dont la magie et m’éclaire et m’étonne — 1808 (3)

Stanislas de Boufflers Recueil de Poésies, extraits des ouvrages d’Hélène-Maria Williams, ….

Sonnet à Madame Siddons

Siddons! dont la magie et m’éclaire et m’étonne
Par des plaisirs si purs et si délicieux,
En ouvrant à ton gré les enfers ou les cieux,
Souffre que sur ton front je pose une couronne,
Pour prix de tant de pleurs que te doivent mes yeux.

Mais c’est trop entreprendre, et ma Muse balance;
Elle voudrait te peindre en ta vive action,
Et répéter l’accent de chaque passion,
Et dire ce que dit ton éloquent silence,

Soit que l’ambition change en acier ton coeur,
Soit qu’à ton aspect sombre on frémisse, et qu’on n’ose
De tes yeux égarés soutenir la fureur;

D’un amour inquiet soit que plaidant la cause,
Ta voix de l’ame même emprunte la douceur ….
Oh non! pour peindre un astre il n’est point de couleur.

abbab a’b’b’a’ – T19 – disp: 5+4+3+3 – 15v

Toi qui parais toujours sous les traits qu’on désire, — 1808 (2)

Stanislas de Boufflers Recueil de Poésies, extraits des ouvrages d’Hélène-Maria Williams, ….

Sonnet sur l’espérance

Toi qui parais toujours sous les traits qu’on désire,
Devant qui semblent fuir la crainte et la douleur,
Douce Espérance! viens; viens, et que ton sourire
Eclaircisse la nuit qui règne dans mon coeur;

Parle à ce coeur, dis-lui (ta voix a tant de charmes!)
Qu’il peut germer encor pour lui quelque plaisir,
Que, pour tromper la peine, ou du moins l’adoucir,
L’esprit a sa magie, et l’amitié ses larmes;

Mais ne ramène point ces fantômes brillans
Qui devant moi semaient, aux jours de mon printems,
Des fleurs qu’à leur éclat je croyais immortelles:

Mon esprit, abattu sous le poids de ses maux,
N’oserait contempler des images si belles;
Ce n’est point le bonheur qu’il veut, mais le repos.

Q60 – T14

Les tercets sont organisés selon le deuxième des modèles principaux du sonnet français du 16ème et 17ème (pour le premier voir le n°1): un distique à rimes plates, suivi d’un quatrain à rimes alternées.

par Jacques Roubaud