Archives de catégorie : Formule de rimes

Camarade Adamov, que nous avons changé — 1963 (8)

Henri Thomas Sous le lien du temps

L’heure nouvelle

Camarade Adamov, que nous avons changé
Depuis les jours et nuits de misère aux bordels,
Et les lueurs d’espoir, et ce matin glacé,
Noël ou Nouvel An, sur le pont Saint-Michel.

L’eau grise, les chalands immobiles, le gel,
Et cette brume familière à l’invité
De nulle part qui s’en retourne à son hôtel …
Rue Quincampoix les putains ont réveillonné.

Nous avons vu cela, du comptoir où s’assemblent
Les épaves très solitaires, bien qu’ensemble
Buvant le café noir de la vie inconnue.

Qu’est-ce que nous cherchions, quelle lettre de givre,
A déchiffrer sur le carreau désert des rues,
Quelle impossible et bouffonne raison de vivre?

Q11 – T14

Un pavillon dans un jardin à l’abandon, — 1963 (7)

Henri Thomas Sous le lien du temps

Les rêves de la fin

Un pavillon dans un jardin à l’abandon,
Je voudrais être fol et que l’on m’y laissât
Faire discrètement ce qui me semble bon,
Et que la mort m’y trouve absent de moi déjà.

Aussi brève la vie et d’aussi louche éclat
Que l’éclair blanchissant dans le carreau profond,
Moi, je lui tirerais l’infaillible harpon
Et je l’amènerais à la force du bras

Devant moi, sur mon seuil et dans le lit défait,
La vie, et je verrais son ventre stupéfait,
Son grouillement de feu, ses poils et ses replis,

Et je serais debout à côté de mon lit,
Survolant de très haut les flaques du rivage,
Distrait, sentant déjà venir une autre image.

Q10 – T13

Je sais bien quelques mots mais ne sais pas le sable — 1963 (6)

Jean QuevalLieux-dits


Si le poète écrit contre vents et marées

Je sais bien quelques mots mais ne sais pas le sable
Je ne sais pas le sable et je ne sais pas l’eau
Je ne sais pas le feu pourtant je fais ma fable
Je jette feu et flamme et souffle dans un seau

Ainsi passe le temps qui passerait quand même
Je siffle étant morose et pousse mon bétail
De l’oreille à l’oreille et dis c’est un poème
Je ne sais pas l’oiseau ni la clé d’un portail

Je ne sais pas le sable et je ne sais pas l’eau
Je prends n’importe quoi c’est là le matériau
Et puis dresse l’oreille et ce n’est que le vent

Je pourrai me plonger la tête dans le sable
Je n’y verrais pas plus ni saurai davantage
Puis j’écoute à nouveau serait-il toujours temps

Q59 – T15

Le mot personne est bien parmi les mots français — 1963 (5)

Jean QuevalLieux-dits

Pourquoi tant plumailler dans nul ne sait quel cycle

Le mot personne est bien parmi les mots français
L’un des plus mal assis et veut qu’on s’interroge
Puisqu’il dit presque tout puisqu’il est si sournois
Qu’il ôte ce qu’il dit et sonne à notre horloge:

Si vous mettez l’article alors surgit quelqu’un
Une grande personne elle est personne humaine
S’il n’y a plus d’article il n’y a plus aucun
Plus aucun être humain personne par là même:

Un humain s’auto-nomme ou bien figure un autre
On ne se sait vivant qu’en vivant bon apôtre
Chacun donc articule et coule à quelques yeux:
Si hier et si demain dépendent d’un article
Pourquoi tant plumailler dans nul ne sait quel cycle
Immobile est l’histoire et broie ses pauvres œufs.

Q59 – T15 une rime ‘historique’ : ‘françois

Lumineux le pinceau du phare alternatif — 1963 (4)

Jean QuevalLieux-dits

Vous venez au cinéma, mademoiselle?

Lumineux le pinceau du phare alternatif
Forains du tour du monde et merveilleux cinoche
Pour l’ancien le nouveau et le mort et le vif
Et Ruth qui vient vers toi qui n’es que pauvre cloche

La terreur des faubourgs en oublie le bitume
La gamine oubliée entrouvre ses genoux
C’est la mise en question c’est enfin le peau-âme
C’est le fil de la vierge et ce sont des chevaux

Un Saint Graal en morceaux pauvre champ du zénith
Mer des yeux où vient nager Ruth la moabithe
C’est la vie parallèle et c’est la longue veille

Que c’est-il qui dit mieux que Charlot sur son banc
Avec ses deux cailloux de tout son regard blanc
La vie d’un être humain la beauté de sa peine

Q59 – T15

sur les deux roues de son vélocipède — 1963 (3)

Jean QuevalLieux-dits

Sur un film de Harry Langdon

sur les deux roues de son vélocipède
un garnement comme un cheval de cirque
regarde cette fille il est timide
il tourne et n’ose pas prendre de risque

c’est un gars muet qui joue du lasso
la fille est changée en momie vivante
avecque ses yeux ses tours de vélo
il vise le cœur de l’étoile absente

c’est le temps des cops et des fiançailles
baraques de bois blancheur des images
magie galopante à la corde raide

il meurt et reste à la périphérie
à l’enseigne des années de la vie
sur les deux roues de son vélocipède

Q59 – T15 – déca

Suspendu par les mains à quelque toit du monde — 1963 (2)

Jean QuevalLieux-dits

Commencement et fin du Cinématographe

Suspendu par les mains à quelque toit du monde
Un quidam oublié se compose en sa tête
Le moyen d’aterrir puisque la terre est ronde
Dans les eaux de ses yeux la servante est en fête

entre le pont des soupirs et la tour de Londres
voyage dans la lune un enfant oublié
images animées des reliefs et des ombres
quelques anciens disaient notre fils est toqué

la pellicule s’use au long de tant de lieues
la récupère alors le grigou des banlieues
explorateur distrait de quel gage effacé

Terre! dit Colombus et le Cinéma fut
Quels mondes vont s’ouvrir et quelle fille en rut
temps de la somnolence et du cœur stupéfié

Q59 – T15

Madeleine ou Marie et le temps de la houle — 1963 (1)

Jean QuevalLieux-dits

L’invention du miroir et de la mer

Madeleine ou Marie et le temps de la houle
Une star est surgie elle invente la plage
Le saint bois d’Amérique est touché par la foule
La monde mue dans les dimensions d’une image

Intrigue ourdie au cœur d’une folle et perverse
Orson Welles est un monstre des eaux sous-marines
L’arroseur arrosé dit la geste du geste
La grâce du silence est le soleil des mimes

Les dames de Bergman ont fait le tour des yeux
Quatre sous d’opéra pour ces millions de gueux
Antonioni peint la mélancolie du cœur

Le bonhomme Méliès vendit quelques bonbons
Qui donc gratte le ciel par science et fiction
Du Mexique Eisenstein a regardé la mort

Q59 – T15

Le sexe las d’attendre un printemps retardé — 1962 (6)

Georges Perros Poèmes bleus

Absurdité II

Le sexe las d’attendre un printemps retardé
Par la rencontre au sommet de quatre saisons
La petite fille rentra chez elle à pied
Oubliant dans un parc son sac à provisions.

Lucifer la guettait sur le seuil de la porte
Et la prit dans ses bras pour lui montrer dûment
L’art de bien conjuguer le diable vous emporte
Mais elle n’avait plus peur de rien maintenant.

Depuis elle regarde l’homme sans rien voir
Qu’un peu d’ombre qui se déplace dans le noir
Celui de la lumière qui fut sa jeunesse.

Si l’ennui vient de naître il s’en ira bientôt
La vie est courte et longue et si courte à nouveau
Mourir tirera langue à toutes ses promesses.

Q59 – T15

L’arbre sentait le vent qui naissait dans ses branches — 1962 (5)

Georges Perros Poèmes bleus

Absurdité

L’arbre sentait le vent qui naissait dans ses branches
Et le vent donnait âme aux bourgeons du printemps
L’oiseau se demandait si c’était le dimanche
Ou un huitième jour pour les adolescents.

Le ciel ne respirait plus que par habitude
Sa chemise lavée au grand air du levant
Le bûcheron trouvait que la vie était rude
Mais l’arbre tenait bon, en tremblant doucement.

La vache dans le pré regardait l’oeil humide
Le dernier train du soir sans aucun voyageur
Le passage à niveau conjura le malheur

Restant obstinément horizontal. C’est là
Qu’un homme et qu’une femme aimèrent pour la vie
L’arbre, le vent l’oiseau la vache sans envie.

Q59 – xdd yee