Archives de catégorie : T15 – ccd eed

Il te fut révélé, ce soir, et t’a blessée, — 1898 (5)

François Dellevaux Le sachet d’amour

Le lys

Il te fut révélé, ce soir, et t’a blessée,
L’acte brutal qui préoccupe ta pensée.
Or, c’est l’instant, ô virginale fiancée!
Des souhaits écoutés et des voeux accomplis….

Sois à moi! Le corps seul est d’argile. Le lys,
Cette royale fleur de pureté candide,
A besoin, pour pousser son calice splendide,
Du suc vivifiant d’un noir humus sordide:

Donne-toi. Notre amour te deviendra plus cher
En s’idéalisant, car, dans l’Oeuvre de chair,
La caresse est le Spasme et l’étreinte est l’Extase.

Qu’importe la matière impure, si l’esprit
S’en exalte? O leçon! Le parfum qui fleurit
Ignore, sans dédain, le fumier de sa base!

aaab  ba’a’a’ – T15

– Je reviens d’un voyage au cher pays des lèvres, — 1897 (19)

Albert Giraud Hors du siècle

La douce rencontre

– Je reviens d’un voyage au cher pays des lèvres,
A pays des baisers d’un siècle, de là-bas :
Crépuscule des chairs ; torche rose des fièvres,
Tout s’est fané, tout s’est éteint, et je suis las.

– De ce même pays des torches et des fièvres,
Du pays du baiser séculaire, là-bas,
Du pays de la chair, du cher pays des lèvres
Je reviens comme toi, comme toi je suis las.

– Qu’avons-nous rapporté de cet amer voyage ?
– Rien qu’un impitoyable et stérile veuvage,
Qu’un mauvais compagnon d’exil et de prison !

Aimons-nous cependant, ô ma pauvre âme lasse,
Aimons-nous doucement, lentement, à voix basse,
Sans éveiller celui qui dort dans la maison.

Q8  T15  quatrains sur mots-rimes.

Il a vêcu tantôt gai comme un sansonnet, 1897 (16)

Gérard de Nerval ? in Petite Revue Internationale

L’Epitaphe

Il a vêcu tantôt gai comme un sansonnet,
Tour à tout amoureux insoucieux et tendre,
Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre,
Un jour il entendit qu’à sa porte on sonnait.

C’était la Mort! Alors il la pria d’attendre
Qu’il eût posé le point à son dernier sonnet;
Et puis sans s’émouvoir, il s’en alla s’étendre
Au fond du coffre froid où son corps frissonnait.

Il était paresseux, à ce que dit l’histoire,
Il laissait trop sécher l’encre dans l’écritoire.
Il voulait trop savoir mais il n’a rien connu.

Et quand vint le moment où, las de cette vie,
Un soir d’hiver, enfin l’âme lui fut ravie,
Il s’en alla disant: « Pourquoi suis-je venu? »

Q17 – T15

Arvers en son chef d’oeuvre encombré de mystère — 1897 (13)

autre variation sur le sonnet d’Arvers

–       Raoul Ponchon

Arvers en son chef d’oeuvre encombré de mystère
Garde aussi le secret du sonnet mal conçu.
Si j’en parle, au surplus, c’est pour ne pas m’en taire,
Le tour en est galant, mais le métier non su.

Il aurait dû passer cent fois inaperçu,
Ce poème d’amour unique et solitaire !
Que diable, on en connaît de plus rares sur terre,
Enfin, de son sonnet donnons-lui le reçu.

Il murmure, il est vrai, d’une sorte assez tendre ;
Mais son auteur paraît précisément n’entendre
Rien au sonnet. la règle y cloche à chaque pas.

De plus, il n’est que la traduction fidèle
D’un sonnet d’Italie. Et c’est pour l’amour d’Elle
Qu’il le mit en français. Il ne se foulait pas …

Q10  T15

(arv) Ponchon n’est pas le premier à s’imaginer connaître les règles du sonnet. Il ne suit guère lui-même la recommandation de Boileau, répétant trois fois le mot ‘sonnet’ dans le sien.

Mon coeur a son secret, mon âme a son mystère — 1897 (12)

Louis AigoinNotice sur Félix Arvers et variations sur les rimes de son sonnet.

Le sonnet d’Arvers ‘à revers

Mon coeur a son secret, mon âme a son mystère
Un amour insensé subitement conçu
Plein de désir, d’espoir, je ne pouvais me taire;
Celle dont je suis fou, du premier jour l’a su.

Comment de l’être aimé passer inaperçu?
Comment à ses côtés se croire solitaire?
Pour moi, j’aurai goûté ce bonheur sur la terre,
Osant tout demander, d’avoir beaucoup reçu.

Dieu ne l’avait pas faite en vain jolie et tendre.
Elle a, dans son chemin, trouvé très doux d’entendre
Les aveux qu’un amant murmurait sur ses pas.

A l’austère devoir, j’en conviens, peu fidèle,
Elle saura, lisant ces vers tout remplis d’elle,
Le nom de cette femme, …. et ne le dira pas.

Q10 – T15 – arv

Mon cher, vous m’amusez quand vous faites mystère 1897 (11)

Louis AigoinNotice sur Félix Arvers et variations sur les rimes de son sonnet.

Réponse de la femme ‘fin de siècle’

Mon cher, vous m’amusez quand vous faites mystère
De votre immense amour en un moment conçu
Vous êtes bien naïf d’avoir voulu le taire:
Avant qu’il ne fût né, je crois que je l’ai su.

Pouviez-vous, m’adorant, passer inaperçu,
Et, vivant près de moi vous sentir solitaire?
De vous il dépendait d’être heureux sur la terre:
Il fallait demander et vous auriez reçu.

Apprenez qu’une femme au coeur épris et tendre
Souffre de suivre ainsi son chemin sans entendre
L’aveu qu’elle espérait trouver à chaque pas.

Forcément au devoir on reste, alas, fidèle!
– J’ai compris, vous voyez, ‘ces vers tout remplis d’elle »
C’est vous, mon pauvre ami, qui ne compreniez pas.

Q10 – T15 – arv

Ami, pourquoi nous dire, avec tant de mystère — 1897 (10)

Louis AigoinNotice sur Félix Arvers et variations sur les rimes de son sonnet.

Réponse de la femme ‘au devoir fidèle

Ami, pourquoi nous dire, avec tant de mystère
Que l’amour éternel en votre âme conçu
Est un mal sans espoir, un secret qu’il faut taire,
Et comment supposer qu’Elle n’en ait rien su?

Non, vous ne pouviez point passer inaperçu,
Et vous n’auriez pas dû vous croire solitaire
Parfois les plus aimés font leur temps sur la terre
N’osant rien demander et n’ayant rien reçu.

Pourtant Dieu mit en nous un coeur sensible et tendre.
Toutes, dans le chemin, nous trouvons doux d’entendre
Le murmure d’amour élévé sur nos pas.

Celle qui veut rester à son devoir fidèle
S’est émue en lisant vos vers tout rempli d’elle:
Elle avait bien compris …. et ne le disait pas.

Q10 – T15 – arv

Dans deux heures au plus on veut que dare dare — 1896 (16)

Ludovic Sarlat in  L’année des poètes

Un étrange défi

Dans deux heures au plus on veut que dare dare
Je présente au lecteur un sonnet tout entier.
J’accepte avec plaisir ce défi singulier
Qui me séduit surtout parce qu’il est bizarre.

Le sonnet, pour de grands esprits, c’est l’oiseau rare ;
Mais ce genre depuis longtemps m’est familier,
Et j’enfourche Pégase encor sans étrier :
On sait que de sonnets je ne suis pas avare.

Tiens ! je vais être au bout de mes quatorze vers,
Et je sens que, malgré la glace des hivers,
Poésie, en ma main ta coupe est toujours pleine.

J’ai fini mon sonnet et gagné mon pari :
Ma verve est toujours jeune, elle n’a pas tari,
Car j’ai fait celui-ci en un quart d’heure à peine.

Q15  T15  s sur s

Alanguissant d’ombre et d’amour l’orgueil des fastes, — 1896 (13)

Charles Guérin in L’Ermitage

Sonnet

Alanguissant d’ombre et d’amour l’orgueil des fastes,
le jardin fabuleux où règne ton infante
chante dans la lumière et s’étage en terrasses
et surplombe mon parc de songe et de silence.

Avec ses feuilles qui tournoient, plumes errantes,
le val semble un soupir d’automne calme et chaste …
à fleur des sources dont l’azur se ride et tremble
les tourterelles d’or trempent leurs ailes lasses;

parmi le clair chagrin des trembles qui s’égouttent
le groupe harmonieux des amantes écoute
s’affaiblir la rumeur attristante des cors ;

et dans la brume où le poète aux doigts pensifs
de roses qui s’en vont enguirlande les ifs
plane l’impérial épervier de la mort.

Q11  T15

C’était toute douceur et nuance et sourdine — 1896 (11)

– Georges Rodenbach Oeuvres

Pour le tombeau de Verlaine

C’était toute douceur et nuance et sourdine
De lys purs qui seraient sensitives, et d’une
Figure de clarté qui serait clair de lune,
Figure de Béguine ou de Visitandine.

C’était tout falbalas et brumes en écharpes;
C’était toute musique, en pleurs d’être charnelle,
Et frissons d’une harpe qui serait une aile;
Car les ailes du cygne ont la forme des harpes.

Et c’était tout sincère élan d’âme marrie
Qui s’élevait d’en bas vers la Vierge Marie:
Oblation de soi, sans plus de subterfuges,

Et réponse pieuse à tous divins reproches,
Et tout azur de coeur, ouvert aux humbles cloches,
Qui me l’a fait aimer comme le ciel de Bruges!

Q63 – T15  – Rimes féminines.